Commentaire linéaire, Hugo, les Contemplations, livre III, Magnitudo Parvi, la figure surnaturelle du berger proche du divin

Hugo

Exercices bac français Hugo Les Contemplations livres I à IV parcours Les Mémoires d'une âme. Evaluez votre niveau, testez vos connaissances

Exercices 2 4

Exercices bac français Hugo Les Contemplations livres I à IV parcours Les Mémoires d'une âme. Evaluez votre niveau, testez vos connaissances

Exercices bac français Hugo Les Contemplations livres I à IV parcours Les Mémoires d'une âme. Evaluez votre niveau, testez vos connaissances -Progressez avec les corrigés

Victor Hugo, "Les Contemplations", livres I à IV / parcours : Les Mémoires d'une âme. Livre III, les luttes et les rêves

Objet d'étude : La poésie du XIXe siècle au XXIe siècle, séries générales et technologiques 

 Victor Hugo, "Les Contemplations", livres I à IV / parcours : Les Mémoires d'une âme.

 

Victor Hugo : 

Victor-Marie Hugo, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris, est un écrivain, dramaturge, poète, homme politique, académicien et intellectuel engagé français considéré comme le plus important des écrivains romantiques de langue française et un des plus importants écrivains de la littérature française. 
Son œuvre est très diverse : romans, poésie lyrique, drames en vers et en prose, discours politiques à la Chambre des Pairs, correspondance abondante. 
Victor Hugo a fortement contribué au renouvellement de la poésie et du théâtre en tant que chef de file du mouvement romantique. Il a aussi permis à de nombreuses générations de développer une réflexion sur l'engagement de l'écrivain dans la vie politique grâce à ses multiples engagements qui le condamneront à l'exil. 

« Magnitudo parvi », v. 548 – v. 567, 1839, lecture de la poésie

 

Oubliant dans ces grandes choses
Les trous de ses pauvres habits,
Comparant la douceur des roses
A la douceur de la brebis,


Sondant l’être, la loi fatale ;
L’amour, la mort, la fleur, le fruit ;
Voyant l’auréole idéale
Sortir de toute cette nuit,


Il sent, faisant passer le monde
Par sa pensée à chaque instant,
Dans cette obscurité profonde
Son oeil devenir éclatant ;


Et, dépassant la créature,
Montant toujours, toujours accru,
Il regarde tant la nature,
Que la nature a disparu !


Car, des effets allant aux causes,
L’oeil perce et franchit le miroir,
Enfant ; et contempler les choses,
C’est finir par ne plus les voir.

« Magnitudo parvi », v. 548 – v. 567, 1839.

Hugo, Magnitudo parvi (v.548 – v.567)...– LECTURE LINEAIRE

Le poème « Magnitudo parvi » est le dernier de la section « Les Luttes et les rêves ». D’une taille imposante (il fait 813 vers), ce poème raconte une promenade en bord de mer du « je poétique » accompagné de sa fille à laquelle il tient un long discours qui se fait explication du monde. Cette explication, métaphorique, débute avec la
question de l’enfant demandant à son père ce que sont « deux feux » qu’elle aperçoit. Le « je » répond en expliquant que ceux-ci sont deux mondes : une étoile et le feu d’un berger.
Dans le passage qui nous intéresse, suite d’octosyllabes à rimes croisées, le poète lui parle du berger, présenté plus haut comme un « homme qui ne sait pas lire », proche de la nature et ayant un rapport direct au monde.

Mouvements du texte :
1. Deux premiers quatrains = le berger, jamais nommé, est présenté comme un contemplatif, proche de la nature et des grands mystères. Sa capacité à voir ce qui n’est pas visible, à comprendre les grands mystères (donc le divin) est mise en avant.
2. Dernier quatrain = est marqué par la présence du destinataire du discours et la disparition de la figure du berger. Ce mouvement est un passage explicatif qui explique comment la contemplation du monde mène à la perceptions de vérités intangibles.

Nous nous demanderons donc comment ce poème, qui débute comme un poème autobiographique et anecdotique, se fait justification du titre du recueil.

Magnitudo parvi, étude linéaireMagnitudo parvi, étude linéaire (177.99 Ko)

Deuxième étude linéaire de la poésie d'Hugo

“Magnitudo Parvi”

Les Contemplations, Livre III, Victor Hugo

 

[…] Lui, ce berger, ce passant frêle,

Ce pauvre gardeur de bétail

Que la cathédrale éternelle

Abrite sous son noir portail, […]

 

Il sent, faisant passer le monde

Par sa pensée à chaque instant,

Dans cette obscurité profonde

Son œil devenir éclatant ;

 

Et, dépassant la créature,

Montant toujours, toujours accru,

Il regarde tant la nature,

Que la nature a disparu !

 

Car, des effets allant aux causes,

L’œil perce et franchit le miroir,

Enfant ; et contempler les choses,

C’est finir par ne plus les voir.

 

La matière tombe détruite

Devant l’esprit aux yeux de lynx ;

Voir, c’est rejeter ; la poursuite

De l’énigme est l’oubli du sphinx.

 

Il ne voit plus le ver qui rampe,

La feuille morte, émue au vent,

Le pré, la source où l’oiseau trempe

Son petit pied rose en buvant ; […]

 

Ni les mondes, esquifs sans voiles,

Ni, dans le grand ciel sans milieu,

Toute cette cendre d’étoiles ;

Il voit l’astre unique ; il voit Dieu ! […]

Etude linéaire

Ce très long poème a un titre en latin : « Magnitudo parvi » Magnitudo, c’est la grandeur. Et parvi, c’est le génitif de parvus, adjectif signifiant « petit ». La traduction littérale de ce titre est donc « Grandeur du petit ».

Ce titre oxymorique permet à Victor Hugo de montrer que les petites gens, les gens humbles, ont aussi une forme de grandeur. On sait qu’il aimait à prendre la défense des pauvres et des déshérités, prenant le contre-pied des valeurs esthétiques et morales établies dans sa société et des préjugés sociaux de son époque.

Dans un long discours à sa fille sur un thème lyrique (rimes croisées), ce dernier poème du Livre III des Contemplations atteint le registre épique et rentre dans la signification profonde de l'acte de contempler. Il s'agit d'une figure symbolique de «pâtre», incarnant un penseur visionnaire dont le regard perce les apparences pour atteindre la vérité du monde.

 

Lecture du texte 

 - oral de l'EAF - 

 

Problématique

En quoi la figure du berger représente-t-elle l’idéal de simplicité, la pureté humaine, la préfiguration de l’idéal hugolien de contemplation et le lien d’intimité avec Dieu? 

Annonce du plan

Dans un premier temps, nous verrons pourquoi le berger peut être qualifié de voyant.

Ensuite, nous étudierons en quoi ce dernier a un regard pur qui va au-delà du superficiel et s’abîme dans la contemplation.

Enfin, nous mettrons en lumière sa proximité avec le Divin. 

 

 

Le berger, un voyant (vers 1 à 8)  

 

L’éloge du berger (registre épidictique) commence par une gradation ascendante dans une chaîne de substantifs à progression thématique, enchaînant les périphrases à connotation laudative: au départ, il est désigné par un pronom personnel à valeur emphatique (« lui »), puis on le définit par sa fonction, et par la suite par ses actions. 

Champ lexical de la faiblesse, de la vulnérabilité, de la simplicité et de l’humilité: "frêle", “pauvre”, “berger” 

Le jeune pâtre est analphabète et sans savoir livresque ni érudition; cependant il représente une forme de sagesse acquise par l’expérience de sa condition de berger et sa vie au milieu de la nature. 

Tout en lui est simplicité, innocence, sobriété et pureté.

Il est en harmonie avec la nature et la spiritualité: par métaphore, la “cathédrale éternelle” désigne l’immensité des cieux; et le “noir portail” se réfère à la nuit, dans sa profondeur spirituelle.

Hugo insiste ainsi sur la puissance éminemment spirituelle de la vie de ce jeune pâtre, bien éloigné en réalité de tout catéchisme ou de toute forme dogmatique de religiosité. 

Il est donc apte à traverser les apparences et voir Dieu, à se rapprocher de l’Etre, au- delà du Paraître. 


Il sent, faisant passer le monde

Par sa pensée à chaque instant,

Dans cette obscurité profonde

Son œil devenir éclatant ;

 

Le quatrain suivant débute avec le pronom personnel : « il », s’en suit le verbe « sent » qui se réfère tout à la fois à la sensation physique (le toucher ou l’odorat) et à la sensation intuitive : le jeune berger n’est pas dans l’analyse rationnelle, mais dans l’intuition et la saisie profonde et immédiate du monde.

Double action introduite par le participe présent. Cette action est interne, il pense. 

“le monde” donne un aspect plus général, il le contient.

“à chaque instant” : le jeune pâtre est un être tout entier dans la force du présent, et non pas dans la nostalgie du passé ni dans l’anticipation angoissée du futur.

“cette obscurité profonde” : ici l’obscurité de la nuit fait écho aux mystères de la vie et du monde.

Le complément d’objet arrive seulement à la fin de ce quatrain, ce qui crée un effet de de retardement et d’attente : ralentissement du rythme, faisant écho au rythme lent de la vie du jeune pâtre, jamais bousculé par les contraintes urbaines ou par les pressions du temps minuté.

Antithèse et jeu de clair-obscur entre l’obscurité du monde/ de la nuit et son regard lumineux (« Son œil devenir éclatant »).

C’est un homme qui éclaire le monde et qui va tenter d'apporter un nouveau regard de lumière (c’est une lumière de pureté spirituelle, par contraste avec les Lumières des philosophes du XVIIIème qui désignaient les lumières de la raison humaine) : ici, son œil est « éclatant » par la puissance de son regard contemplatif, et non pas par celle de sa raison. L’idéal romantique est un idéal de l’intuition, de l’inspiration et de la profondeur contemplative, loin de l’idéal rationaliste des Lumières.

Identification allégorique: le jeune berger devient la figure du poète-voyant, idéal de poésie romantique, et ainsi Victor Hugo lui-même vu dans son idéal de contemplation.

II. Un regard pur (vers 9 à 16)

Mouvement vertical dans les vers, faisant écho à l’élévation du pâtre par Victor Hugo : une montée vers le Divin en somme, dans une élévation spirituelle.

Répétition et chiasme autour de l’adverbe “toujours”, cela permet d’insister sur l’ascension et l’élévation: « Montant toujours, toujours accru » (Chiasme en ABBA)

Subordonnée CC de conséquence apparemment paradoxale : “Il regarde tant la nature, que la nature a disparu”.  Opposition entre l’acte de regarder et l’acte de contempler : on se rend compte du sens profond de l’Etre qui nous entoure, cela n’est possible qu’en allant au-delà des apparences, du paraître et du superficiel.

Mise en relation possible avec le Mythe de la caverne de Platon : Nous sommes comme des prisonniers enchaînés dans une caverne, et qui ne voient du vrai monde que les ombres projetées par la lumière du dehors sur le mur de la paroi du fond. Notre perception de la réalité n’est donc qu’illusion.

Et donc, à force de regarder la nature, on ne voit plus la nature au sens des divers objets de la création, mais bien l’Etre véritable, autrement dit Dieu lui-même.

Exclamative marquant l’exaltation de la traversée spirituelle et le dépassement de la matière.

Les deux premiers vers du deuxième quatrain reprennent l’idée de la traversée des apparences par la métaphore du miroir.

« Car, des effets allant aux causes,

L’œil perce et franchit le miroir, »

// Parallèle possible avec l’idée de l’œil de lumière dans Le Tabernacle des Lumières de Al-Ghazali.

Distinction paradoxale entre “contempler” et “voir”. Supposant une attitude plus active, et surtout plus intérieure, que « voir », « contempler » s’applique à un objet qui est digne d’admiration. Il y a là une première indication d’importance : « les choses », c’est-à-dire toute chose, sont dignes d’admiration (on retrouve là la posture de Victor Hugo qui entend, dans sa poésie comme dans son théâtre, proposer une littérature qui prenne en compte tout l’existant sans hiérarchie de valeur).

Le terme « contempler » est également un terme employé dans le contexte de la spiritualité : « contempler », c’est admirer le monde pour y retrouver la trace de son créateur. Il s’agit donc d’une posture liée à la foi.

Les deux derniers vers de ce mouvement sont une forme de définition explicative (à valeur de vérité générale) passant par la reprise emphatique du présentatif :

« Enfant ; et contempler les choses,

C’est finir par ne plus les voir. »

Le berger-poète est donc celui qui sait voir dans le monde la présence du divin et le passage devient crucial dans le recueil dans la mesure où il explique le titre du recueil (Les Contemplations) et est un passage dans lequel Victor Hugo offre sa vision du poète romantique, à savoir celui qui aspire à la contemplation.

Intimité avec le Divin (vers 17 à 28)

“la matière tombe détruite” : évocation de la mort et de la destinée de organisme vivant, allant jusqu’à la corruption de la matière.

“l’esprit aux yeux de lynx” est une allégorie mythologique (le Sphinx et la Pythie de Delphes qui énonce des énigmes sur le Destin) afin de mettre en valeur la supériorité de l’esprit sur la matière.

« Voir, c’est rejeter ; la poursuite

De l’énigme est l’oubli du sphinx."

Poursuite du paradoxe : “voir” n’est que la première étape avant la véritable contemplation, plus intérieure, où l’on se concentre sur l’être et l’essentiel.

Négation “il ne voit plus (…)”: permet une énumération de tous ces éléments de la nature qui font les objets de la poésie romantique par excellence (lyrisme & pittoresque) : Hugo prépare ainsi le passage du registre lyrique au registre épique.

Gradation ascendante de la description : il va du plus petit avec le « ver » au plus large avec le « pré ».

« Ni les mondes, esquifs sans voiles,

Ni, dans le grand ciel sans milieu, 

Toute cette cendre d’étoiles ; »

Termine finalement par un élargissement d’ordre cosmique : le pluriel des « mondes » rappelle l’entrée du poème et l’évocation des « mondes » dans la Genèse.

La métaphore des « esquifs sans voiles », apposée aux « mondes » évoque le mouvement des galaxies, toujours en mouvement dans l’univers.

Répétition anaphorique du “ni” qui est en même temps une conjonction de coordination à valeur de négation, afin d’insister sur le dépouillement absolu du regard du pâtre, qui n’opère l’ascension contemplative que par un détachement complet du monde matériel et naturel.

« Il voit l’astre unique ; il voit Dieu ! »/ Reprise du verbe « il voit » (parallélisme de construction) sur les deux propositions juxtaposées afin de mener au centre (« Dieu ») par progression thématique (rétrécissement des cercles concentriques). Effet de concentration et de mise en valeur de « Dieu », aboutissement ultime du poème (fin de vers/ fin de strophe) et du processus de la contemplation.

Rien ne divertit le berger, il est concentré sur l’Etre : il n’a d'intérêt que pour Dieu. 

L’exclamative marque l’exaltation quasi mystique ici du voyage spirituel accompli.

 

Nous pouvons lier ce poème avec Les lettres du voyant d’Arthur Rimbaud publié en 1871. Dans celui-ci Rimbaud reste dans la continuité de Victor Hugo en exploitant la notion de prophète, il fait ainsi un lien avec la relation à Dieu. Dans sa lettre il se distingue au milieu des hommes, tel le berger dans ce poème. Quand la lettre de Rimbaud est une argumentation directe, le pâtre, dans le poème de Victor Hugo, devient une figure allégorique du poète-berger voyant, immergé dans la contemplation.

 

Date de dernière mise à jour : 27/11/2022

Ajouter un commentaire