Etude linéaire pour l'oral de l'EAF, Albert Cohen, Belle du Seigneur, 5ème partie, chapitre 87

Comment Cohen met-il en scène le processus de désamour à l’œuvre dans une relation passionnelle?

Cohen

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'La regardant dormir, il conjugua silencieusement le verbe faire l'amour, au passé, au présent et hélas au futur..... Ne lui avait-elle pas dit l'autre jour qu'elle avait sa migraine? 

Albert Cohen, romancier suisse francophone du 20ème siècle est l’auteur de  Belle du Seigneur publié en 1968.

- C’est un récit structuré en sept parties qui s’inscrit dans le cadre historique de la Suisse à Genéve dans les années 1930 pendant la montée du nazisme et de l’antisémitisme, juste avant la deuxième guerre mondiale. L’histoire raconte l’amour fou d’Ariane et de Solal, mais aussi d'une certaine façon l'amour de Cohen pour la langue française et pour l’écriture.

- L’extrait sur lequel nous allons nous pencher se situe dans la 5ème partie du roman. Ariane a quitté son mari car elle aime Solal, ils vivent dans un luxueux hôtel de la Côte d’Azur. Cohen raconte dans cet extrait comment ces deux êtres qui s’aiment passionnément s’asphyxient par manque d’oxygène social

- la première variation : dire l’amour ou faire l’amour - la deuxième variation aimer ou mourir

Comment Cohen met-il en scène le processus de désamour à l’œuvre dans  une relation passionnelle?

- La question de l'amour

- la première variation : dire l’amour ou faire l’amour

- la deuxième variation aimer ou mourir

- Opposition amant/mari 

 

Le thème principal, l'amour - L’amour-sentimental s’oppose à l’amour physique.

Avant la première réplique, Solal s’ennuie et Ariane dort. Le premier paragraphe s’organise en antithèse entre « dormir » (l.1) et « brusquement réveillée » (l.3). Certains comptent les moutons. Solal, lui, « silencieusement » conjugue, le verbe « faire l’amour ». Les apparences sophistiquées d’un couple de la bonne société dissimulent en réalité un mal d’être. L’amour-sentimental s’oppose à l’amour physique.

1- L’adverbe « hélas » donne l’impression que « faire l’amour » est employé en syllepse, à la fois dans sa connotation autonymique mais aussi en tant que verbe au sens plein. Cela traduit que Solal, ne ressent plus de satisfaction après leurs relations charnelles.

- De plus, tout le paragraphe est construit en chiasme. En effet on note de chaque côté, un participe présent « la regardant dormir (l.1)/ « attendant de lui » (l.3), au centre, « faire l’amour » qui s’oppose à « elle lui baisa la main » (l.2).

- Plus loin, il y a « bouleversante de foi et attendant de lui » (l.3). La passion est une religion éternel. Or dans cette relation, la femme que l’homme agisse et dirige les événements, d’où le verbe attendre et « faire » (l.4)

- la première variation : dire l’amour ou faire l’amour

La seconde réplique intervient 5 lignes plus tard. « Je t’aime » (l. 9). Cet enchaînement de questions-réponses est tautologique car l’écrivain veut montrer l’aspect cyclique de l’amour. C’est ce que montre le second paragraphe fait  de monologues intérieurs marqués par des phrases courtes, parfois sans verbe et exclamative. Cette syntaxe permet de montrer également la colère de Solal : « hurla-t-il en lui-même ».

- Puis, Solal oppose en antithèse « faire » et « être » (l.6) car le couple est coupé de la société, ils sont tout le temps ensemble. C’est-à-dire que contrairement à de nouveaux amants s’aimer n’est pas une exception, c’est leur quotidien. De ce fait leur passion les asphyxie et les autodétruit. Cela est souligné par l’auteur par la paronomase « jour d’amour comme tous les jours », des adverbes et des pronoms qui marquent l’enfermement dans le temps : « toujours la même chose », « tout le temps », « encore », « tous les jours » (l. 5 ,6, 9).

- L’utilisation du mot « pitance » (l.7). suggère que ce n’est plus de l’amour, c’est de la charité. D’où le caractère ironique de la déclaration à Ariane « Je t’aime »

- la deuxième variation aimer ou mourir

Dans cette deuxième variation, on retrouve un même geste « elle lui prit la main y déposa un baiser » (l. 10) mais cette fois-ci, c’est « un baiser nain à son intestinal » (l.11). Ce n’est plus la main, c’est le corps. On retrouve la même réflexion sur l’action avec la répétition du verbe « faire » (l. 17, 20). « On retrouve la « pitié » (l. 16), « la pauvre » (l.17) qui font écho à « pitance ». - En outre, Solal et Ariane ont dessiné une géographie de leur amour. Genève semble être leur paradis. A l’inverse, l’hôtel de luxe sur la Côte d’azur, ils sont en enfer, au bagne.

- Ils sont maintenant en état de « torpeur » (l. 14), ni actif ni passifs, dans un état de demi conscience qui annonce en prolepse le dénouement du récit. Cet état où on se « blottit » (l.16) et se « pelotonne » (l.14) est souligné par une métaphore, filée, qui fait référence au cocon, une image qui fait écho à leur état mental et physique. D’abord « cocons de souvenirs, de pensées, de pensées, de goûts communs » (l. 15), puis « cocon sensuel » (l. 15).

- La passion de Solal pour Ariane est à bout. Solal crée alors l’équation paradoxale suivante : adultère est une source de vie : en effet on note l’antanaclase « battement de cœur et de paupières » (l.18), « joie de vivre » (l.19), « homme de sa vie » (l.16). Tandis que la vie en couple donne la mort.

• D’où la dernière réplique au discours direct  qui donne l’impression de deux vieillards mourants : « voulez-vous qu’on fasse tout de même quelques pas dehors ? Cela vous ferait du bien » (l. 21). C’est cette dernière idée qui fait l’enjeu du dernier paragraphe.

- Opposition amant/mari 

- Le dernier paragraphe est au discours indirect libre. 

-  polyptote « vivant »/ « vivante » (l.23-24)  rappelle au lecteur que pour les personnages le triangle amoureux est  la condition géométrique extraconjugale heureuse. D’où : « collée à lui jusqu’à la dernière minute, intéressée, vivante » (l.24). En effet leur amour est né du mépris qu’Ariane avait pour son mari. Or maintenant ils sont deux. Ainsi, Solal est paradoxal car les meilleurs moments de leur relation étaient quand Ariane était mariée.

- Par conséquent Solal réimagine leur relation avec des système hypothétiques « s’ils étaient, et si elle devait… est-ce qu’elle lui proposerait… ? » à l’irréel du présent, le mode conditionnel et la métaphore d’un oiseau, « petites plume » qui se juxtpose au cocon d’avant

Ainsi, suite à l’analyse linéaire de cet extrait de Belle du seigneur nous avons reconnu l’écriture de Cohen qui croise les styles littéraires. En effet le roman est réaliste pour reconstruire le triangle amoureux et le narrateur se trouve dans les pensées de Sohal mais il est omniscient.

- En outre ce texte décrit une crise passionnée, la fin d’un amour dans une conversation silencieuse avec des vouvoiements mondains, de vieux mots -Cela donne une dimension tragique et ironique à la scène. 

- le secret du malheur de Solal et d’Ariane est bien expliqué dans la fin du roman de Milan Kundera L’Insoutenable légèreté de l’être qui compare le bonheur du chien Karénine à l’incapacité d’être heureux du couple

Date de dernière mise à jour : 03/08/2021

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