Montaigne Des cannibales, livre I, chapitre 31, anthropophagie. Essais, 1580. Etude linéaire et questionnaire bac
" Ils ont leurs guerres contre les nations... superflu pour eux" -
Description des moeurs des Amérindiens, influence corruptrice des Européens, hypocrisie des Européens. Les Amérindiens, un exemple de valeurs morales
Objet d'étude : La littérature d'idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle
Montaigne, "Essais", "Des Cannibales", I, 31 / parcours : Notre monde vient d'en trouver un autre.
Littérature d'idées séries générales et technologiques 2021
Comment répondre en 2 minutes à la question de grammaire ? Episode Littérature d'idées.
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Comprendre le contexte historique et culturel de MONTAIGNE.
En quoi les événements historiques et culturels se retrouvent-ils dans Les Essais ?
La portée du titre de l'oeuvre de MONTAIGNE
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PARCOURS MONTAIGNE
Ils ont leurs guerres contre les nations qui sont au-delà de leurs montagnes, plus avant en la terre ferme, auxquelles ils vont tout nus, n’ayant autres armes que des arcs ou des épées de bois, apointées par un bout, à la mode des langues de nos épieux. C’est chose émerveillable que la fermeté de leurs combats, qui ne finissent jamais que par meurtre et effusion de sang; car, de routes1 et d’effroi, ils ne savent que c’est. Chacun rapporte pour son trophée la tête de l’ennemi qu’il a tué, et l’attache à l’entrée de son logis. Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers, et de toutes les commodités dont ils se peuvent aviser, celui qui en est le maître fait une grande assemblée de ses connaissants; il attache une corde à l’un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient, éloigné de quelques pas, de peur d’en être offensé, et donne au plus cher de ses amis l’autre bras à tenir de même; et eux deux, en présence de toute l’assemblée, l’assomment à coups d’épée.
Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun et en envoient des lopins à ceux de leurs amis qui sont absents. Ce n’est pas, comme on pense, pour s’en nourrir, ainsi que faisaient anciennement les Scythes2; c’est pour représenter une extrême vengeance. Et qu’il soit ainsi, ayant aperçu que les Portugais, qui s’étaient ralliés à leurs adversaires, usaient d’une autre sorte de mort contre eux, quand ils les prenaient, qui était de les enterrer jusqu’à la ceinture, et tirer au demeurant3 du corps force coups de trait, et les pendre après, ils pensèrent que ces gens-ci de l’autre monde, comme ceux qui avaient semé la connaissance de beaucoup de vices parmi leur voisinage, et qui étaient beaucoup plus grands maîtres qu’eux en toute sorte de malice, ne prenaient pas sans occasion cette sorte de vengeance, et qu’elle devait être plus aigre que la leur, commencèrent de quitter leur façon ancienne pour suivre celle-ci.
Je ne suis pas marri4 que nous remarquons l’horreur barbaresque qu’il y a en une telle action, mais oui bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et par géhennes5 un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux ( comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens,et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion), que de rôtir et manger après qu’il est trépassé.
Chrysippe et Zénon, chefs de la secte stoïque, ont bien pensé qu’il n’y avait aucun mal de se servir de notre charogne à quoi que ce fût pour notre besoin, et d’en tirer de la nourriture; comme nos ancêtres, étant assiégés par César en la ville de Alésia, se résolurent de soutenir la faim de ce siège par les corps des vieillards, des femmes et autres personnes inutiles au combat.
Les Gascons, dit-on, en se servant de tels aliments
Prolongèrent leur vie.
Et les médecins ne craignent pas de s’en servir à toute sorte d’usage pour notre santé, soit pour l’appliquer au-dedans ou au-dehors, mais il ne se trouva jamais aucune opinion si déréglée qui excusât la trahison, la déloyauté, la tyrannie, la cruauté qui sont nos fautes ordinaires.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie. Leur guerre est toute noble et généreuse, et a autant d’excuse et de beauté que cette maladie humaine en peut recevoir; elle n’a autre fondement parmi eux que la seule jalousie de la vertu6. Ils ne sont pas en débat de la conquête de nouvelles terres, car ils jouissent encore de cette uberté7 naturelle qui les fournit sans travail et sans peine de toutes choses nécessaires, en telle abondance qu’ils n’ont que faire d’agrandir leurs limites. Ils sont encore en cet heureux point de ne désirer qu’autant que leurs nécessités naturelles leur ordonnent; tout ce qui est au-delà est superflu pour eux.
1 routes: déroutes, abandons.
2 Scythes: peuple indo-européen nomade, ayant vécu dans les steppes eurasiennes entre le VIIè et le IIIè s av J.C, réputé pour sa sauvagerie.
3 au demeurant: sur le reste.
4 marri: fâché, affligé.
5 géhennes: tortures, souffrances intenses.
6 vertu: courage et force.
7 uberté: « richesse, abondance, fécondité ».
Introduction à la lecture linéaire
L'extrait que nous nous proposons d'étudier est tiré du chapitre 31 des Cannibales des Essais de Montaigne, écrivain et philosophe du 16e siècle appartenant au mouvement littéraire de l'humanisme qui met au coeur de ses préoccupations les valeurs humaines (ouverture sur l'autre, tolérance et refus des préjugés). Notre passage présente des scènes cannibales dans le contexte de la découverte du Nouveau Monde et des guerres de religion. L'extrait s'intéresse aux pratiques d'une tribu du Brésil. La notion de barbarie est au centre de la réflexion que Montaigne engage sur la nature humaine autant que sur la diversité des cultures.
Lecture du texte
Mouvements du texte
Le texte est divisé en 4 mouvements qui correspondent aux 4 paragraphes
Mouvement 1 = 1er paragraphe
Description des moeurs des Amérindiens
Mouvement 2 = 2ème paragraphe
L'influence corruptricce des Européens
Mouvement 3 = 3ème paragraphe
La levée du voile sur l'hypocrisie des Européens
Mouvement 4 = 4ème paragraphe
Les Amériendiens, un exemple de valeurs morales
Annonce du plan
Danns un premier temps, Montaigne fait la description des moeurs des Amérindiens, puis il évoque l'influence corruptrice des Européens, la levée du voile sur l'hypocrisie des Européens, pour enfin montrer que les Amérindiens sont un exemple de valeurs morales
Problématique
En quoi Montaigne, au travers d'une dénonciation de l'ethnocentrisme et d'un éloge paradoxal des cannibales prend t'-il le contre-pied de la pensée de son époque?
A consulter, les études linéaires du site
Montaigne des cannibales étude linéaire (168.51 Ko)
Commentaire linéaire texte Montaigne (16.27 Ko)
Etude linéaire n° 3 (78.84 Ko)
lecture linéaire page 1 (1.39 Mo)
Etude linéaire - Page 2 (1.32 Mo)
Etude linéaire - Page 3 (1.17 Mo)
Questionnaire de compréhension du texte
1 - Relevez les premières marques du présent de vérité générale
"font", "sont", "vont", ligne 1
2 - Que traduit le retour à la première personne?
"Je ne suis pas fâché que nous soulignions.... " : cela permet d'interpeler et d'inclure le lectueur dans la reflexion. Les sauvages ne sont pas les plus barbares. Les Européens sont inclus dans ce 'nous". "Que nous soyons si aveugles à l'égard de nos fautes.
3 - Pourquoi peut-on parler d'une argumentation par comparaison?
Montaigne décrit les moeurs barbares pour les comparer aux coutumes des Portugais qui étaient en train de coloniser le Brésil. Les Portugais sont plus cruels que les Amérindiens car ils enterrent leurs ennemis "jusqu'à la ceinture", les frappent "de force coups de traits" et les pendent.
4 - A quelles figures d'autorité Montaigne fait-il appel?
Les Grecs Chrysippe et Zénon + la figure du médecin = Montaigne invoque des arguments de raison pour convaincre le lecteur
5 - Comment cherche t'-il à persuader?
En provoquant le dégoût et l'horreur "déchirer par des tortures et des supplices un corps ayant encore toute sa sensibilité"
6 - Relever une accumulation de vices qui montre que selon Montaigne, les vrais sauvages et barbares sont les Portugais et les Européens en général
"La trahison, la déloyauté, la tyrannie, la cruauté"
7 - "Nous l'avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire"
= faits passés + rélalités du présent = Il en appelle à la responsabilité de tous les Européens par l'emploi du "nous". Toute la civilisation est mise en cause
8 - Que permet la condamnation des Européens?
D'évoquer les guerres de religion. Il condamne les méfaits commis au nom de la religion
9 - Insistance sur les vices engendrés par la civilisation = conséquences = fondement du mythe du bon sauvage repris par Rousseau pour qui l'état de nature ou l'état originel = bonheur
Un peu de grammaire
1er §
Les compléments circonstanciels de lieu les situent en territoire inconnu:
«au-delà de la montagne», «plus en avant dans la terre ferme».
proposition subordonnée relative et la négation d’exception «ne…que». = montre que l'équipement est rudimentaire
Montaigne rapporte des faits au présent d’habitude: « rapporte, attache, fait».
Analyse de la parataxe
"Chacun rapporte pour son trophée la tête de l'ennemi qu'il a tué, et l'attache à l'entrée de son logis". Poursuite de description ethnologique par parataxe : chaque phrase ajoute un élément de description, qui fait le récit de la guerre tupinamba et de ses conséquences.
complément circonstanciel de temps "Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers"
première explication analogique niée: «ce n’est pas ainsi que faisait les Scythes».
les Scythes mangeaient de la chair humaine pour se nourrir, les Indiens Cannibales le font par vengeance
champ lexical de la communauté : «une grande assemblée», «au plus cher de leurs amis», «toute l’assemblée», «en commun».
2ème §
Montaigne adopte alors le point de vue («ayant remarqué», «pensèrent que») des cannibales sur les portugais:
«qui avaient répandu la connaissance de beaucoup de vices», « beaucoup plus experts qu’eux en toute sorte de malice», «et qu’elle devait être plus désagréable que la leur».
comparatifs de supériorité
3ème §
Le locuteur s’implique personnellement et affectivement «je ne suis pas fâché»
le discours est direct
Le pléonasme «horreur barbare»
Le connecteur logique d’opposition «en revanche» met en avant l’aveuglement des européens, leur incapacité à être objectif.
Relevez dans tout le texte un exemple de polyptote
Un polyptote est une figure de répétition qui consiste à reprendre un terme en lui faisant subir des variations morphologiques de nombre, de personne, de mode, de voix ou de temps. Ex. Barbaresque, barbarie, barbare
Quiz 25 questions. Montaigne Des cannibales I,31, anthropophagie
Quiz de 25 questions sur Montaigne, les Essais, Des cannibales I,31, anthropophagie
Ils ont leurs guerres contre les nations qui sont au-delà de leurs montagnes, plus avant en la terre ferme, auxquelles ils vont tout nus, n’ayant autres armes que des arcs ou des épées de bois, apointées par un bout, à la mode des langues de nos épieux. C’est chose émerveillable que la fermeté de leurs combats, qui ne finissent jamais que par meurtre et effusion de sang; car, de routes et d’effroi, ils ne savent que c’est. Chacun rapporte pour son trophée la tête de l’ennemi qu’il a tué, et l’attache à l’entrée de son logis. Après avoir longtemps bien traité leurs prisonniers, et de toutes les commodités dont ils se peuvent aviser, celui qui en est le maître fait une grande assemblée de ses connaissants; il attache une corde à l’un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient, éloigné de quelques pas, de peur d’en être offensé, et donne au plus cher de ses amis l’autre bras à tenir de même; et eux deux, en présence de toute l’assemblée, l’assomment à coups d’épée.
Cela fait, ils le rôtissent et en mangent en commun et en envoient des lopins à ceux de leurs amis qui sont absents. Ce n’est pas, comme on pense, pour s’en nourrir, ainsi que faisaient anciennement les Scythes; c’est pour représenter une extrême vengeance. Et qu’il soit ainsi, ayant aperçu que les Portugais, qui s’étaient ralliés à leurs adversaires, usaient d’une autre sorte de mort contre eux, quand ils les prenaient, qui était de les enterrer jusqu’à la ceinture, et tirer au demeurant du corps force coups de trait, et les pendre après, ils pensèrent que ces gens-ci de l’autre monde, comme ceux qui avaient semé la connaissance de beaucoup de vices parmi leur voisinage, et qui étaient beaucoup plus grands maîtres qu’eux en toute sorte de malice, ne prenaient pas sans occasion cette sorte de vengeance, et qu’elle devait être plus aigre que la leur, commencèrent de quitter leur façon ancienne pour suivre celle-ci.
Je ne suis pas marri que nous remarquons l’horreur barbaresque qu’il y a en une telle action, mais oui bien de quoi, jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu’il y a plus de barbarie à manger un homme vivant qu’à le manger mort, à déchirer par tourments et par géhennes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens et aux pourceaux ( comme nous l’avons non seulement lu, mais vu de fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens,et, qui pis est, sous prétexte de piété et de religion), que de rôtir et manger après qu’il est trépassé.
Chrysippe et Zénon, chefs de la secte stoïque, ont bien pensé qu’il n’y avait aucun mal de se servir de notre charogne à quoi que ce fût pour notre besoin, et d’en tirer de la nourriture; comme nos ancêtres, étant assiégés par César en la ville de Alésia, se résolurent de soutenir la faim de ce siège par les corps des vieillards, des femmes et autres personnes inutiles au combat.
Les Gascons, dit-on, en se servant de tels aliments
Prolongèrent leur vie.
Et les médecins ne craignent pas de s’en servir à toute sorte d’usage pour notre santé, soit pour l’appliquer au-dedans ou au-dehors, mais il ne se trouva jamais aucune opinion si déréglée qui excusât la trahison, la déloyauté, la tyrannie, la cruauté qui sont nos fautes ordinaires.
Nous les pouvons donc bien appeler barbares, eu égard aux règles de la raison, mais non pas eu égard à nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie. Leur guerre est toute noble et généreuse, et a autant d’excuse et de beauté que cette maladie humaine en peut recevoir; elle n’a autre fondement parmi eux que la seule jalousie de la vertu. Ils ne sont pas en débat de la conquête de nouvelles terres, car ils jouissent encore de cette uberté naturelle qui les fournit sans travail et sans peine de toutes choses nécessaires, en telle abondance qu’ils n’ont que faire d’agrandir leurs limites. Ils sont encore en cet heureux point de ne désirer qu’autant que leurs nécessités naturelles leur ordonnent; tout ce qui est au-delà est superflu pour eux.