Versions du mythe du bon sauvage, Montaigne, Montesquieu, Diderot, Rousseau, littérature d'idées, EAF 2021

Le mythe du bon sauvage chez Montaigne, Diderot, Rousseau, littérature d'idées, bac de français programme 2021

Mythe du bon sauvage

La propagation de l'idée du bon sauvage- Le mythe chez Montaigne dans Des Cannibales-Le mythe chez Diderot,Bougainville-Rousseau : « l’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt »

Le mythe du bon sauvage (ou du « noble sauvage ») est l'idéalisation de l'homme à l'état (1) de nature (des hommes vivant au contact de la nature. L’idée que « le bon sauvage » vit dans un paradis sur terre avant le péché originel s’est développée au xviiie siècle, ayant ses fondations chez les explorateurs et conquérants de la Renaissance. Au xvie siècle, Christophe Colomb, Pedro Álvares Cabral, Amerigo Vespucci et Jacques Cartier explorent le continent américain, et découvrent une « jeune humanité ». Qu'ils soient écrits en portugais, en espagnol, en français ou en latin, les textes issus de leurs voyages sont le certificat de naissance du « bon sauvage ». Le mythe du bon sauvage a permis aux écrivains contemporains de développer une forme de critique sociale sur les aberrations et les injustices de la société. L'adaptation la plus connue actuellement est Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley

La propagation de l'idée du bon sauvage

 

Le mythe chez Montaigne dans Des Cannibales

La création du mythe du « bon sauvage » est souvent attribuée à Michel de Montaigne même si les fondations de ce mythe sont bien antérieures. Montaigne aborde le sujet dans les chapitres Des Cannibales et Des Coches de ses Essais. De nombreux critiques maintiennent que l’auteur prend position en faveur des peuples autochtones qui vivent tranquillement dans la nature et contre les Européens qui ne s’intéressent qu’à s’enrichir et à corrompre des peuples innocents

Montaigne souligne l’importance de choisir la raison par rapport à la voix commune et introduit le principe de relativisme culturel ainsi que l’idée de tolérance. Il dit que la culture « civilisée » ne connait pas toujours la vérité et, peut-être, que les Européens se trompent en appelant les Amérindiens anthropophages des « barbares » En comparant les Européens au peuple Tupinamba du Brésil dans Des Cannibales, Montaigne essaie de montrer la « barbarie » de l’action destructrice des Européens. Ses descriptions des Tupinamba soulignent pour les lecteurs la perfection de leur vie en harmonie avec la nature. Leur mode de vie surpasse toutes les imaginations de « l’âge d’or » et il compare ce peuple « naturel » et « pur » aux fruits sauvages qui sont menacés par le goût corrompu des Européens. Selon Montaigne, l’innocence des Tupinamba est plus pure que l’état social.

Certains critiques questionnent la fiabilité des sources qu’emploie Montaigne] en partie à cause de son exagération. Il est de fait indéniable que Montaigne commente l’Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil publié par Jean de Léry en 1578 : l’essai Des Cannibales semble alors une conversation avec le texte de Léry et une gageure pour penser hors de l’habitude de pensée. Néanmoins, le chapitre Des Coches, qui continue ce premier plaidoyer en s’appuyant sur d’autres sources, montre que l'attitude de Montaigne est celle de l’étonnement plus que de la leçon. Montaigne questionne, ouvre des dialogues, souffle des réponses provocatrices. Plusieurs soutiennent que sa représentation du « bon sauvage » dans les Essais a contribué largement à la pensée humaniste en redéfinissant ce qu’est la culture et son rôle pour définir l’humanité

Le mythe chez Diderot dans Supplément au voyage de Bougainville

Au xviiie siècle, la figure du bon sauvage commença à se transformer. Dans le texte Supplément au voyage de Bougainville, paru en 1772, Denis Diderot exprime une pensée qui s’oppose subtilement à la voix commune et qui provoque la chute du mythe, avérée avec le siècle suivant : pour lui, le « bon sauvage » n’existe pas. Il faut juger chaque homme tel qu’il est. Bien qu’il soit d’accord que les Tahitiens vivent d’une manière heureuse et libre et même si leur bonheur lui donne l’occasion de confirmer sa théorie des trois codes, Diderot déclare que la nature et les « sauvages » ne sont ni bons, ni mauvais

Diderot expose les Tahitiens comme des hommes logiques avec certains buts – augmenter la population, enrichir la nation, se nourrir, la guerre le sang-froid– et avec des vertus sociales, actives et positives qui nient l’image artificielle et utopique des « bons sauvages », manifestant une aptitude à la civilisation

Diderot met en question l´état de nature et réfute la divinité attribuée aux sauvages par le mythe. Ce sont des individus réels qui vivent dans une société différente, ayant leur propre culture (ce qui contredit l’opposition supposée entre la nature et la culture)

Diderot utilise ce mythe non pas pour proposer un modèle idéal, mais pour dénoncer les corruptions et les erreurs des colonisateurs de la civilisation européenne et de la religion chrétienne. Diderot n’apporte point de solution définitive; il encourage la réflexion sur le sens de la vie, sur l’organisation de la société, sur le caractère universel de la morale et sur l'anthropologie comme science

Rousseau : « l’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt »

Rousseau n'a pas utilisé le terme « bon sauvage » mais l'idée d'un état naturel (ou « de nature ») bon, innocent ou pur est un élément central de son interprétation de la nature humaine : "le principe de toute morale (...) est que l'homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l'ordre ; qu'il n'y a point de perversité originelle dans le cœur humain, et que les premiers mouvements de la nature sont toujours droits" (...) tous les vices qu'on impute au cœur humain ne lui sont point naturels (...) par l'altération successive de leur bonté originelle, les hommes deviennent enfin ce qu'ils sont.

Dans le Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommes, Rousseau développe une longue métaphore sur l’état de nature, l’état pré-civilisationnel. Il décrit cette période de l’humanité comme étant la plus heureuse. Source

(1) L’état de nature est une notion de philosophie politique forgée par les théoriciens du contrat à partir du XVIIe siècle. Elle désigne la situation dans laquelle l'humanité se serait trouvée avant l'émergence de la société, et particulièrement avant l'institution de l'État et du droit positif. Bien que certains aient cru à la réalité de l'état de nature, le concept est d'ordinaire pensé comme une hypothèse méthodologique, utile indépendamment de sa véracité historique. Il existe différentes conceptions de l'état de nature, largement différentes selon leurs auteurs. On retrouve sur les débats au sujet de l'état de nature l'idée du Bon Sauvage (d'une nature innocente ou bonne), et celle de Hobbes (d'une nature mauvaise), entre autres. Dans tous les cas, l'état de nature est situé dans un temps reculé, avant la naissance des sociétés étatiques. Selon le point de vue des partisans d'une nature bonne (ou innocente), le développement des sociétés étatiques met globalement fin à cet état.

Le mythe du bon sauvage (ou du « noble sauvage ») est l'idéalisation de l'homme à l'état de nature (des hommes vivant au contact de la nature

L’idée que « le bon sauvage » vit dans un paradis sur terre avant le péché originel s’est développée au XVIIIe siècle, ayant ses fondations chez les explorateurs et conquérants de la Renaissance. Au XVIe siècle, Christophe Colomb, Pedro Álvares Cabral, Amerigo Vespucci et Jacques Cartier explorent le continent américain, et découvrent une « jeune humanité »
Qu'ils soient écrits en portugais, en espagnol, en français ou en latin, les textes issus de leurs voyages sont le certificat de naissance du « bon sauvage »
Le mythe du bon sauvage a permis aux écrivains contemporains de développer une forme de critique sociale sur les aberrations et les injustices de la société. L'adaptation la plus connue actuellement est Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley

Victor de l'Aveyron est le plus célèbre cas d'enfant sauvage, né vers 1790, peut-être dans le Tarn, puis réfugié dans l'Aveyron. Il est décédé en 1828 à Paris. Une approche clinique montre que ses nombreuses cicatrices atypiques ne relèvent pas de la vie en forêt, mais de maltraitance grave et de tentative d'homicide (longue cicatrice linéaire en regard du larynx, causée par un objet tranchant).

Sa désocialisation apparaît mineure (il vient se chauffer près du feu dans les maisons, accepte de manger des aliments cuits et de dormir dans un lit, etc.), voire insignifiante si on la compare avec celle de l'autre enfant sauvage Marie-Angélique le Blanc (qui craint le feu, fuit les habitations, refuse tout aliment cuit, refuse de dormir dans un lit, etc.).


Voici quelques versions du mythe du bon sauvage qui ont su faire rêver les hommes…


Daniel Defoe (1660-1731)

Robinson Crusoé (1717)


Montesquieu (Charles de Secondat, baron de La Brède et de) (1689 - 1755)

Lettres persanes (1721)


Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain) (1688 -1763)

L’Ile aux esclaves (1725)


Voltaire (François Marie Arouet, dit) (1694 - 1778)

Candide (1752)


Denis Diderot (1713-1784)

Le Supplément au voyage de Bougainville (1772)


Jean-Jacques Rousseau (1712- 1778)

La Nouvelle Héloïse (1761)

Émile ou De l’Éducation (1762)


James Fennimore Cooper (1901-1961)

Le Dernier des Mohicans (1826)


Bernardin de St-Pierre (1737-1814)

Paul et Virginie (1788 )


Aldous Huxley (1894-1963)

Le Meilleur des mondes (1932)

 

 

 
 

" En quoi le Détour par l'Autre est-il un bon moyen de dénoncer les travers de notre société ? Le voyage est-il à la fois une ouverture sur le monde et une découverte de nous-même?  

Pour aller plus loin dans votre réflexion 

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Identifier et reformuler une thèse exercice d'application Sujet : Identifiez et reformulez la thèse de l’auteur : Montaigne et la thèse de l’homme sauvage

Sujet : Identifiez et reformulez la thèse de l’auteur : Montaigne et la thèse de l’homme sauvage


Texte

Montaigne, Les Essais, chapitre 31
« des cannibales », 1580-1592


Montaigne s’interroge sur l’épithète « sauvage » par laquelle on désigne les peuples nouvellement découverts en Amérique au XVIème siècle.


Or, je trouve pour revenir à mon propos qu’il n’y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, à ce qu’on m’en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage; comme de vrai, il semble que nous n’avons autre mire de la vérité et de la raison que l’exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la parfaite religion,la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils ont sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits; là où, à la vérité, ce sont eux que nous avons altérés par notre artifice et détournés de l’ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages.

Analyse :

La thèse

Dans l’extrait du chapitre 31 des Essais, intitulé «des cannibales », Montaigne formule très explicitement sa thèse: il refuse de considérer les indiens cannibales comme des barbares et des sauvages. Mais le jugement qui dénonce la barbarie de l’autre n’est que la projection des opinions et de la culture dans laquelle nous vivons. L’appellation « barbare » ne dit rien d’autrui. Elle ne fait que traduire notre intolérance. Il annonce une démarche argumentative personnelle; « je trouve mon propos » et les arguments qui tentent de convaincre fondent une réflexion sur l’emploi des mots, « chacun appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ». Ailleurs il nous précise « ils sont sauvages de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son progrès ordinaire, a produits ». Le penseur dénonce l’ethnocentrisme,la croyance que le peuple dont nous faisons partie possède la vérité. Montaigne vide ensuite le terme « sauvage » de sa signification négative pour lui désigner positivement une proximité avec la nature. Les fruits sauvages sont riches de vertus que les fruits cultivés ont perdues; par analogie on peut supposer que les vertus des peuples sauvages sont restés intacts. La civilisation apparaît comme un processus de dégénérescence, comme un éloignement par rapport aux vertus naturelles. Ainsi, l’exemple du fruit débouche sur une généralisation, nous avons ici une supériorité de la nature sur la culture. La légitimité de la culture est donc remise en question. La barbarie devient le signe d’une plus grande proximité de l’homme avec la nature;Les barbares sont moins corrompus que nous.

Les enjeux de la thèse

Les enjeux du texte dépassent donc la thèse initiale. Il ne s’agit pas ici d’une apologie des indiens cannibales mais d’une réflexion sur les cultures. Montaigne à partir d’une réflexion sur le langage proclame la relativité des mœurs et le culte de la nature; il déstabilise ainsi les certitudes européennes par l’ironie, « parfaite religion » et le paradoxe, nous avons une réhabilitation du mot sauvage dans un raisonnement par analogie. Nous sommes aux origines du mythe de l’homme naturellement bon, du bon sauvage.

Date de dernière mise à jour : 21/04/2021

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