Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire - Etude linéaire - Le poète met son art au service de la cause populaire en faisant oeuvre politique

Cesaire 3

Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire 
Etude linéaire


Cesaire 2

À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.
J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.
Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.
On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer.
Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.
Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme.
On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers ou de vignes plantés.
Moi, je parle d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.
On me parle de civilisation, je parle de prolétarisation et de mystification.
Pour ma part, je fais l’apologie systématique des civilisations para-européennes.
Chaque jour qui passe, chaque déni de justice, chaque matraquage policier, chaque réclamation ouvrière noyée dans le sang, chaque scandale étouffé, chaque expédition punitive, chaque car de C.R.S., chaque policier et chaque milicien nous fait sentir le prix de nos vieilles sociétés.
C’étaient des sociétés communautaires, jamais de tous pour quelques-uns.
C’étaient des sociétés pas seulement anté-capitalistes, comme on l’a dit, mais aussi anti-capitalistes.
C’étaient des sociétés démocratiques, toujours.
C’étaient des sociétés coopératives, des sociétés fraternelles.
Je fais l’apologie systématique des sociétés détruites par l’impérialisme.

Extrait de Discours sur le colonialisme, Présence africaine (texte de l’édition 1955).
 

Comment le poète met-il son art au service de la cause populaire en faisant oeuvre politique?

Cesaire 2

Aimé Césaire s’est engagé jusqu’à la fin de sa vie (2008) en politique. Né en Martinique en 1913, ayant étudié en France, il est, avec Léopold Sédar Senghor, le théoricien du concept de « négritude » qui cherche à promouvoir la culture noire
Dans ce pamphlet anticolonial, il refuse l'équation des colonialistes : "colonisation = civilisation" et répond par une nouvelle équation. 
c’est un des premiers textes où le poète met son art au service de la cause civile et populaire.

Problématique
Nous nous demanderons donc comment le poète met son art au service de la cause populaire en faisant oeuvre politique

Mouvements 
1.    Mouvement 1
Un pamphlet politique virilent pour dénoncer la déshumanisation du colonisateur  - L.1-23
2.    Mouvement 2
L'écriture poétique au service de la cause  -L. 24-32

 

1. Mouvement 1 Un pamphlet politique virilent pour dénoncer la déshumanisation du colonisateur

Cesaire 2

Prise de position personnelle à travers les marques du discours “mon” l.1, “j’” l’.2 et “je” et “Moi” l.4. = marques d’énonciation et de prise de position omniprésente sur le reste du discours. 
Verbes de paroles pour mettre les sens en avant “j’entends” et “on me parle” l.2. Répétition du verbe au présent de l’indicatif “parle” à travers toute la partie (8 fois) conjugué à la première et à la troisième personne du singulier comme pour insister sur un échange verbal qui ne finit pas et qui semble vain.
L’extrait débute sur une équation qui simplifie de manière extrême la colonisation comme pour marquer plus facilement les esprits. Ici, cela prouve que le langage n’est plus efficace et cette équation que l’on peut considérer comme une comparaison va percuter l’esprit de l’auditeur/lecteur.
La première partie est une suite d’énumérations qui montre l’oppression à travers le champ lexical la torture/violence qui ensanglante le texte et des allitérations [k], [b], [p], [d], [t] qui agissent comme un grondement inquiétant et animal. Face à cette violence des faits qui ne peuvent que convaincre (Histoire, géopolitique, arts, religion, commerce, etc.), le rôle de la France ressort, celui d’un colon qui a exploité les pays africains. Le lecteur/auditeur ne peut que prendre parti et être persuadé et surtout touché par la violence historique et notoire qui a dévasté le continent et contre laquelle Césaire combat. Le colonisateur en autodestruction (bestialité du colonisateur, l’auteur retourne les arguments contre le colonisateur = champ lexical bestialité + gradations l.8 + allitération l.14) = dislocation du continent l.21 en rythme ternaire. Il dresse un réquisitoire contre les hommes blancs.
Mise en abîme de Césaire qui se voit en train d’écrire tel un messager L.9-10 “à l’heure où j’écris” et interpellation des “hommes” sacrifiés de façon hyperbolique tout autant que factuelle “milliers” l.9 autant que des colonisateurs français “on me parle” qui revient de manière anaphorique 4 fois pour montrer la distance et tenter de discréditer cette prise de position coloniale qui a minimisé les faits.
 
cc= L’auteur en appelle aux peurs les plus profondes afin de faire passer un message, il convainc et persuade à travers ce discours dans lequel il se met en scène contre les inégalités.

2. Mouvement 2 L'écriture poétique au service de la cause

Cesaire 2

Dans ce mouvement, Césaire se dresse tel un avocat de la cause africaine “apologie” l.24 et prend parti en défendant cette cause. Deux camps sont mis en avant et il prend le parti des sociétés “para-européenne”, l.24, néologisme qui marque les esprits et donc le préfixe “para” signifie contre comme pour insister sur un combat en cours.
Les anaphores qui suivent “chaque” l.24-26 remettent en cause l’injustice qui règne alors et la violence qui sévit à travers les champs lexicaux de ces derniers (à citer). Les images suscitées marquent l’esprit du lecteur.
Les autres anaphores “c’étaient” dans les dernières lignes marquent une soumettent une rupture entre le passé colonial et une prise de liberté et de dignité pour l’Afrique. Des antithèses soulignent les paradoxes l.27 “sociétés communautaires”// “quelques-uns” tout comme des paronomases “ante-capitalistes” et “anticapitalistes” l.28-29 pour souligner les nuances très fines des pays en voie de libération. Ces civilisations sont d’ailleurs montrées de manières mélioratives “fraternelles” et “coopératives” L.31 par Césaire comme pour les soutenir encore davantage.
De la même manière, l’auteur réitère son expression hyperbolique “je fais l’apologie systématique” à la dernière ligne et oppose le terme “sociétés” au terme “impérialisme” l.32. Il ne réutilise pas le nom commun “civilisation” afin de montrer l’évolution des pays africains en ayant recours au substantif “civilisation” et marquer ainsi sa différence avec le terme rétrograde et péjoratif “impérialisme”, faisant ainsi référence à la Révolution française. 
 cc= Césaire s’attaque à la métropole et prend la défense des pays colonisés africains, séparant les deux entités et humanisant les victimes.

Conclusion
Ainsi Aimé Césaire met son art au service de la cause populaire en faisant oeuvre politique. Par la conviction et la persuasion il valorise les qualités de la culture africaine pour dénoncer et réfuter les idées des européens. 

Ouverture
C'est un pamphlet qui reste d'actualité. 
 

Olympe de Gouges, "Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne" (du "préambule" au "postambule") / Parcours : "Écrire et combattre pour l'égalité".

Date de dernière mise à jour : 16/02/2024

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