Annales du bac de français, métropole, session de juin 2010, série L, le roman et ses personnages.
Le roman: Mémoires d'un fou, L'Education sentimentale 1ère et 3ème partie de Flaubert. Blanche ou l'oubli de Aragon
Les sujets du baccalauréat de français
Session juin, série L, métropole, année 2010
Objets d’étude :
- Les réécritures
- Le roman et ses personnages : visions de l’homme et du monde
Corpus :
- Texte A : Gustave Flaubert, Mémoires d’un fou (posthume, 1901), chapitre X
- Texte B : Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (1869), première partie, chapitre I
- Texte C : Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale (1869), troisième partie, chapitre VI
- Texte D : Louis Aragon, Blanche ou l’oubli (1967), troisième partie, chapitre 3, « Une mèche de cheveux n’est pas une hypothèse »
Vous pouvez lire également
Au baccalauréat 2009, les séries L sont tombées sur le théâtre
Au bac 2008, les séries L métropole de la session juin ont travaillé le roman et ses personnages ; visions de l'homme et du monde.
Annales du bac de français 2008, métropole, série L - Objet d'étude, le roman, session de juin
A lire et à télécharger
Le corrigé complet de la série L
L francais premiere 2010 metropole corrige officiel (972.29 Ko)
TEXTE A - Gustave Flaubert, Mémoires d’un fou C’est à l’âge de dix-sept ans, en 1838, que Flaubert achève la rédaction de cette ébauche de fiction autobiographique, qui ne sera publiée qu’en 1901. Pendant les vacances de l’été 1836 il a rencontré Elisa Schlesinger, qui inspirera le personnage de Mme Arnoux (voir textes suivants). Elle a alors vingt-six ans, il en a quinze. J’allais souvent seul me promener sur la grève. Un jour, le hasard me fit aller vers l’endroit où l’on se baignait. C’était une place, non loin des dernières maisons du village, fréquentée plus spécialement pour cet usage ; hommes et femmes nageaient ensemble, on se déshabillait sur le rivage ou dans sa maison et on laissait son manteau sur le sable. Ce jour-là, une charmante pelisse1 rouge avec des raies noires était laissée sur le rivage. La marée montait, le rivage était festonné2 d’écume ; déjà un flot plus fort avait mouillé les franges de soie de ce manteau. Je l’ôtai pour le placer au loin ; l’étoffe en était moelleuse et légère, c’était un manteau de femme. Apparemment on m’avait vu, car le jour même, au repas de midi, et comme tout le monde mangeait dans une salle commune, à l’auberge où nous étions logés, j’entendis quelqu’un qui me disait : — Monsieur, je vous remercie bien de votre galanterie. Je me retournai ; c’était une jeune femme assise avec son mari à la table voisine. — Quoi donc ? lui demandai-je, préoccupé. — D’avoir ramassé mon manteau ; n’est-ce pas vous ? — Oui, madame, repris-je, embarrassé. Elle me regarda. Je baissai les yeux et rougis. Quel regard, en effet ! Comme elle était belle, cette femme ! Je vois encore cette prunelle ardente sous un sourcil noir se fixer sur moi comme un soleil. Elle était grande, brune, avec de magnifiques cheveux noirs qui lui tombaient en tresses sur les épaules ; son nez était grec, ses yeux brûlants, ses sourcils hauts et admirablement arqués, sa peau était ardente et comme veloutée avec de l’or ; elle était mince et fine, on voyait des veines d’azur serpenter sur cette gorge brune et pourprée. Joignez à cela un duvet fin qui brunissait sa lèvre supérieure et donnait à sa figure une expression mâle et énergique à faire pâlir les beautés blondes. On aurait pu lui reprocher trop d’embonpoint ou plutôt un négligé artistique. Aussi les femmes en général la trouvaient-elles de mauvais ton. Elle parlait lentement : c’était une voix modulée, musicale et douce... Elle avait une robe fine, de mousseline blanche, qui laissait voir les contours moelleux de son bras. Quand elle se leva pour partir, elle mit une capote3 blanche avec un seul nœud rose ; elle le noua d’une main fine et potelée4, une de ces mains dont on rêve longtemps et qu’on brûlerait de baisers. 1 Manteau, doublé ou garni de fourrure. |
TEXTE B - Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, première partie, chapitre I Le 15 septembre 1840, sur un bateau, La Ville-de-Montereau, qui descend la Seine depuis Paris jusqu’au Havre, Frédéric Moreau, un bachelier de dix-huit ans, rencontre une femme… Ce fut comme une apparition : Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l’éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu’il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent derrière elle. Ses bandeaux1 noirs, contournant la pointe de ses grands sourcils, descendaient très bas et semblaient presser amoureusement l’ovale de sa figure. Sa robe de mousseline claire, tachetée de petits pois, se répandait à plis nombreux. Elle était en train de broder quelque chose ; et son nez droit, son menton, toute sa personne se découpait sur le fond de l’air bleu. Comme elle gardait la même attitude, il fit plusieurs tours de droite et de gauche pour dissimuler sa manœuvre ; puis il se planta tout près de son ombrelle, posée contre le banc, et il affectait d’observer une chaloupe sur la rivière. Jamais il n’avait vu cette splendeur de sa peau brune, la séduction de sa taille, ni cette finesse des doigts que la lumière traversait. Il considérait son panier à ouvrage avec ébahissement, comme une chose extraordinaire. Quels étaient son nom, sa demeure, sa vie, son passé ? Il souhaitait connaître les meubles de sa chambre, toutes les robes qu’elle avait portées, les gens qu’elle fréquentait ; et le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n’avait pas de limites. Une négresse, coiffée d’un foulard, se présenta en tenant par la main une petite fille, déjà grande. L’enfant, dont les yeux roulaient des larmes, venait de s’éveiller. Elle la prit sur ses genoux. « Mademoiselle n’était pas sage, quoiqu’elle eût sept ans bientôt ; sa mère ne l’aimerait plus ; on lui pardonnait trop ses caprices. » Et Frédéric se réjouissait d’entendre ces choses, comme s’il eût fait une découverte, une acquisition. Il la supposait d’origine andalouse, créole peut-être ; elle avait ramené des îles cette négresse avec elle ? Cependant, un long châle à bandes violettes était placé derrière son dos, sur le bordage de cuivre. Elle avait dû, bien des fois, au milieu de la mer, durant les soirs humides, en envelopper sa taille, s’en couvrir les pieds, dormir dedans ! Mais, entraîné par les franges, il glissait peu à peu, il allait tomber dans l’eau ; Frédéric fit un bond et le rattrapa. Elle lui dit : — Je vous remercie, Monsieur. Leurs yeux se rencontrèrent. — Ma femme, es-tu prête ? cria le sieur Arnoux, apparaissant dans le capot de l’escalier. 1 Coiffure qui sépare les cheveux au milieu du front, les ramenant sur les côtés du visage. |
TEXTE C - Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, troisième partie, chapitre VI Fréderic Moreau reverra Mme Arnoux, éprise de lui, mais leur union n’aura pas lieu. Vers la fin de mars 1867, des années après leur dernière rencontre, elle revient voir Frédéric chez lui. La scène se passe au retour d’une promenade. Quand ils rentrèrent, Mme Arnoux ôta son chapeau. La lampe, posée sur une console1, éclaira ses cheveux blancs. Ce fut comme un heurt en pleine poitrine. Pour lui cacher cette déception, il se posa par terre à ses genoux, et, prenant ses mains, se mit à lui dire des tendresses. — Votre personne, vos moindres mouvements me semblaient avoir dans le monde une importance extrahumaine. Mon cœur, comme de la poussière, se soulevait derrière vos pas. Vous me faisiez l’effet d’un clair de lune par une nuit d’été, quand tout est parfums, ombres douces, blancheurs, infini ; et les délices de la chair et de l’âme étaient contenues pour moi dans votre nom que je me répétais, en tâchant de le baiser sur mes lèvres. Je n’imaginais rien au-delà. C’était Mme Arnoux telle que vous étiez, avec ses deux enfants, tendre, sérieuse, belle à éblouir et si bonne ! Cette image-là effaçait toutes les autres. Est-ce que j’y pensais, seulement ! puisque j’avais toujours au fond de moi-même la musique de votre voix et la splendeur de vos yeux ! Elle acceptait avec ravissement ces adorations pour la femme qu’elle n’était plus. Frédéric, se grisant par ses paroles, arrivait à croire ce qu’il disait. Mme Arnoux, le dos tourné à la lumière, se penchait vers lui. Il sentait sur son front la caresse de son haleine, à travers ses vêtements le contact indécis de tout son corps. Leurs mains se serrèrent ; la pointe de sa bottine s’avançait un peu sous sa robe, et il lui dit, presque défaillant : — La vue de votre pied me trouble. Un mouvement de pudeur la fit se lever. Puis, immobile, et avec l’intonation singulière des somnambules : — À mon âge ! lui ! Frédéric !… Aucune n’a jamais été aimée comme moi ! Non, non, à quoi sert d’être jeune ? Je m’en moque bien ! je les méprise, toutes celles qui viennent ici ! — Oh ! il n’en vient guère ! reprit-il complaisamment. Son visage s’épanouit, et elle voulut savoir s’il se marierait. Il jura que non. — Bien sûr ? pourquoi ? — À cause de vous, dit Frédéric en la serrant dans ses bras. Elle y restait, la taille en arrière, la bouche entrouverte, les yeux levés. Tout à coup, elle le repoussa avec un air de désespoir ; et, comme il la suppliait de lui répondre, elle dit en baissant la tête : — J’aurais voulu vous rendre heureux. Frédéric soupçonna Mme Arnoux d’être venue pour s’offrir ; et il était repris par une convoitise plus forte que jamais, furieuse, enragée. Cependant, il sentait quelque chose d’inexprimable, une répulsion, et comme l’effroi d’un inceste. Une autre crainte l’arrêta, celle d’en avoir dégoût plus tard. D’ailleurs, quel embarras ce serait ! — et tout à la fois par prudence et pour ne pas dégrader son idéal, il tourna sur ses talons et se mit à faire une cigarette. Elle le contemplait, tout émerveillée. — Comme vous êtes délicat ! Il n’y a que vous ! Il n’y a que vous ! Onze heures sonnèrent. — Déjà ! dit-elle ; au quart, je m’en irai. Elle se rassit ; mais elle observait la pendule, et il continuait à marcher en fumant. Tous les deux ne trouvaient plus rien à se dire. Il y a un moment dans les séparations, où la personne aimée n’est déjà plus avec nous. Enfin, l’aiguille ayant dépassé les vingt-cinq minutes, elle prit son chapeau par les brides, lentement. — Adieu, mon ami, mon cher ami. Je ne vous reverrai jamais ! C’était ma dernière démarche de femme. Mon âme ne vous quittera pas. Que toutes les bénédictions du ciel soient sur vous ! Et elle le baisa au front, comme une mère. — Gardez-les ! adieu ! Quand elle fut sortie, Frédéric ouvrit sa fenêtre. Mme Arnoux, sur le trottoir, fit signe d’avancer à un fiacre2 qui passait. Elle monta dedans. La voiture disparut. Et ce fut tout. 1 Petit support, généralement petite table appuyée à un mur. |
TEXTE D - Louis Aragon, Blanche ou l’oubli Ce roman brouille toutes les pistes. Aragon parle du « doute perpétuel qui règne sur l’existence des personnages du roman, sur la personnalité du (ou des) narrateur(s), etc. ». Pour lire ce passage, il suffit de savoir que le narrateur, Geoffroy Gaiffier avait été quitté par sa femme, Blanche. Longtemps après, dix-huit ans plus tard, elle a réapparu. […] Et moi, tout d’un coup, peut-être à cause de cette ressemblance, je cesse à nouveau d’entendre Blanche, est-ce que je n’ai pas rêvé tout ça ? J’avais un peu bu. J’ai beau la voir, Blanche. Elle m’explique : « Je suis restée très longtemps à t’attendre, Geoff’, il faut comprendre. Le comprendre. Cette maison noire… nous deux… » De quoi parle-t-elle ? De qui1 ? Le klaxon a encore appelé, au dehors, parce que c’est un klaxon. Je pourrais demander, qui est-ce ? je pourrais dire, ne t’en va pas sans m’avoir… Blanche dit : « Tu l’entends, tu l’entends ? Il s’impatiente. Il a dû tourner toute la soirée comme un fou dans les montagnes. Je le connais. Il est vraiment capable de toutes les folies… » Je la regarde. Elle n’est plus jeune, c’est-à-dire si on compare avec la mémoire… mais si on la compare avec l’oubli. Un visage lisse encore. Voilà la différence : autrefois je n’aurais jamais pensé encore. Qu’est-ce qu’il y a donc dans ses yeux, les mêmes ? Comme un regret ou une peur, je ne sais. Les deux, probable. Mais ce n’est pas de moi qu’elle a peur. Plus de moi. Ni pour moi. Je dis : « Alors, nous allons nous quitter comme ça ? » Elle a eu un geste inattendu, levé ce bras nu, ce bras d’enfant, toujours, dont j’ai le souffle coupé. Elle a porté sa main à sa tête. Qu’est-ce qu’elle fait ? Elle a arraché ce voile blond, elle passe les doigts dans les cheveux qui se défont. J’ai vu. Mon Dieu, mon Dieu. Est-ce possible ? C’est terrible, comme ça tout d’un coup. Mais jamais elle n’a été plus belle, cela lui donne une autre douceur du visage que la dureté des cheveux noirs et lourds… Elle dit : « tu as des ciseaux… », et ce n’est pas une question. Personne comme Blanche ne fait à la fois la question et la réponse (« Tu permets que je t’embrasse ? », comme elle disait après l’avoir fait). Les ciseaux… elle sait qu’il y a des ciseaux, ici, dans le tiroir de la desserte, comme il y a Pulchérie2, elle me les demande, feint de me les demander avec ce geste agité de la main, de quelqu’un qui ne dispose pas de son temps. Je ne comprends pas. Alors elle les prend elle-même. … Elle défit son peigne ; tous ses cheveux blancs tombèrent. Elle s’en coupa, brutalement, à la racine, une longue mèche. — Gardez-les ! adieu ! C’est incroyable, parfaitement insensé, dans un moment pareil, de ne pouvoir faire autrement que de penser à Frédéric Moreau, à Mme Arnoux. « Non, — dit Blanche —, ne m’accompagne pas, Geoff’, c’est un fou, tu sais… et il a si longtemps attendu… » Quand elle fut sortie, Frédéric ouvrit sa fenêtre. Mme Arnoux sur le trottoir fit signe d’avancer à un fiacre qui passait. Je n’ai pas reconduit Blanche à la porte, je n’ai pas soulevé le rideau de la fenêtre. Je ne lui avais pas demandé, quand elle a dit c’est un fou : « Et tu l’aimes ? » Il n’y avait pas besoin. La voiture là-bas démarrait avec une brutalité de fauve. Je ne suis pas si sourd. D’où j’étais, d’ailleurs, dans la pièce, j’ai vu tourner les phares. Et je me suis caché les yeux dans les mains, pour ne plus voir que l’oubli. Les cendres chaudes de l’oubli. 1 L’homme qui attend Blanche à l’extérieur. |
I. Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :
En quoi le texte B est-il une réécriture du texte A, et le texte D une réécriture du texte C ?
Vous vous en tiendrez aux éléments principaux.
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :
Commentaire
Vous commenterez le texte d’Aragon (texte D).
Dissertation
Selon vous, réécrire, est-ce chercher à dépasser son modèle ? Vous développerez votre argumentation en vous appuyant sur les textes du corpus, ainsi que sur ceux étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.
Vous pourrez vous intéresser à d'autres genres que le roman.
Écriture d’invention
Réécrivez la dernière rencontre de Frédéric Moreau avec Mme Arnoux (texte C), cette fois, sous la forme d’un monologue intérieur de Frédéric qui dévoilera ses sentiments et ses pensées. Vous resterez fidèle au texte de Flaubert en vous gardant, toutefois, d’en recopier des passages.
A consultez les sujets de français du bac 2010
A consultez les sujets de français du bac 2009
Date de dernière mise à jour : 01/04/2021
Ajouter un commentaire