Les sujets du bac de français métropole 2007, session juin, séries ES, S. Convaincre, persuader, délibérer
Extrait de l'annale : Les Caractères de Jean de La Bruyère, Choses vues de Victor Hugo, Paroles de Jacques Prévert.
Les sujets du bac de français métropole
Session de juin 2007
Objet d'étude : Convaincre, persuader, délibérer.
Textes :
Texte A - Jean de La Bruyère, Caractères, "De l'homme", 1688.
Texte B - Victor Hugo, Choses vues,1846
Texte C - Jacques Prévert, "La Grasse Matinée", Paroles, 1945.
- En 2005 les bacheliers ont planché sur un corpus de poésies.
- Les sujets nationaux du bac de français 2005, série ES, S: objet d'étude, la poésie
En 2004, en métropole les bacheliers ont travaillé sur un corpus de textes, séquence théâtre
Texte A - Jean de La Bruyère, Caractères, "De l'homme", 1688.
Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son
égard comme s'ils n'étaient point. Non content de remplir à une table la
première place, il occupe lui seul celle de deux autres ; il oublie que le repas
est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait son
propre1 de chaque service : il ne s'attache à aucun des mets, qu'il n'ait achevé
d'essayer de tous ; il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne
se sert à table que de ses mains ; il manie les viandes2, les remanie, démembre,
déchire, et en use de manière qu'il faut que les conviés, s'ils veulent manger,
mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces mal propretés dégoûtantes,
capables d'ôter l'appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent
du menton et de la barbe ; s'il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand
en chemin dans un autre plat et sur la nappe ; on le suit à la trace. Il mange
haut3 et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la table est pour
lui un râtelier4 ; il écure5 ses dents, et il continue à manger. Il se fait,
quelque part où il se trouve, une manière d'établissement6, et ne souffre pas
d'être plus pressé7 au sermon ou au théâtre que dans sa chambre. Il n'y a dans
un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans toute autre, si on
veut l'en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S'il fait un voyage avec
plusieurs, il les prévient8 dans les hôtelleries, et il sait toujours se
conserver dans la meilleure chambre le meilleur lit. Il tourne tout à son usage
; ses valets, ceux d'autrui, courent dans le même temps pour son service. Tout
ce qu'il trouve sous sa main lui est propre, hardes9, équipages10. Il embarrasse
tout le monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de
maux que les siens, que sa réplétion11 et sa bile, ne pleure point la mort des
autres, n'appréhende que la sienne, qu'il rachèterait volontiers de l'extinction
du genre humain.
1. son propre : sa propriété.
2. viandes : se dit pour toute espèce de nourriture.
3. manger haut : manger bruyamment, en se faisant remarquer.
4. râtelier : assemblage de barreaux contenant le fourrage du bétail.
5. écurer : se curer.
6. une manière d'établissement : il fait comme s'il état chez lui.
7. pressé : serré dans la foule.
8.prévenir : devancer.
9. hardes : bagages.
10. équipage : tout ce qui est nécessaire pour voyager (chevaux, carrosses, habits, etc.).
11. réplétion : surcharge d'aliments dans l'appareil digestif.
Texte B - Victor Hugo, Choses vues, 1846.
Hier, 22 février1, j'allais à la Chambre des
Pairs2. Il faisait beau et très froid, malgré le soleil de midi. Je vis venir
rue de Tournon un homme que deux soldats emmenaient. Cet homme était blond,
pâle, maigre, hagard; trente ans à peu près, un pantalon de grosse toile, les
pieds nus et écorchés dans des sabots avec des linges sanglants roulés autour
des chevilles pour tenir lieu de bas ; une blouse courte, souillée de boue
derrière le dos, ce qui indiquait qu'il couchait habituellement sur le pavé ; la
tète nue et hérissée. Il avait sous le bras un pain.
Le peuple disait autour
de lui qu'il avait volé ce pain et que c'était à cause de cela qu'on l'emmenait.
En passant devant la caserne de gendarmerie, un des soldats y entra, et l'homme
resta à la porte, gardé par l'autre soldat.
Une voiture était arrêtée devant
la porte de la caserne. C'était une berline armoriée3 portant aux lanternes une
couronne ducale4, attelée de deux chevaux gris, deux laquais en guêtres
derrière. Les glaces étaient levées, mais on distinguait l'intérieur tapissé de
damas bouton d'or5. Le regard de l'homme fixé sur cette voiture attira le mien.
Il y avait dans la voiture une femme en chapeau rose, en robe de velours noir,
fraîche, blanche, belle, éblouissante, qui riait et jouait avec un charmant
petit enfant de seize mois enfoui sous les rubans, les dentelles et les
fourrures.
Cette femme ne voyait pas l'homme terrible qui la regardait.
Je demeurai pensif.
Cet homme n'était plus pour moi un homme, c'était le
spectre de la misère, c'était l'apparition, difforme, lugubre, en plein jour, en
plein soleil, d'une révolution encore plongée dans les ténèbres, mais qui vient.
Autrefois, le pauvre coudoyait6 le riche, ce spectre rencontrait cette gloire :
mais on ne se regardait pas. On passait. Cela pouvait durer ainsi longtemps. Du
moment où cet homme s'aperçoit que cette femme existe, tandis que cette femme ne
s'aperçoit pas que cet homme est là, la catastrophe est inévitable.
1.22 février 1846, deux ans avant les émeutes de 1848 qui entraînerontl'abdication du roi Louis-Philippe
2. Chambre des Pairs : désigne la HauteAssemblée législative dont Victor Hugo était membre.
3. Berline armoriée :voiture à chevaux sur laquelle sont peints les emblèmes d'une famille noble.
4. Couronne ducale : cet emblème signale que la passagère est une duchesse.
5. Damas bouton d'or : étoffe précieuse de couleur jaune.
6. Coudoyer :côtoyer.
Texte C - Jacques Prévert, "La Grasse Matinée",
Paroles, 1945.
Il est terrible
le petit bruit de l'œuf dur cassé sur
un comptoir d'étain
il est terrible ce bruit
quand il remue dans la
mémoire de l'homme qui a faim
elle est terrible aussi la tête de l'homme
la tête de l'homme qui a faim
quand il se regarde à six heures du matin
dans la glace du grand magasin
une tête couleur de poussière
ce
n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde
dans la vitrine de chez Potin1
il s'en fout de sa tête l'homme
il n'y pense pas
il songe
il
imagine une autre tête
une tête de veau par exemple
avec une sauce de
vinaigre
ou une tête de n'importe quoi qui se mange
et il remue
doucement la mâchoire
doucement
et il grince des dents doucement
car
le monde se paye sa tête
et il ne peut rien contre ce monde
et il compte
sur ses doigts un deux trois
un deux trois
cela fait trois jours qu'il
n'a pas mangé
et il a beau se répéter depuis trois jours
Ca ne peut pas
durer
ça dure
trois jours
trois nuits
sans manger
et
derrière ces vitres
ces pâtés ces bouteilles ces conserves
poissons
morts protégés par les boîtes
boîtes protégées par les vitres
vitres
protégées par les flics
flics protégés par la crainte
que de barricades
pour six malheureuses sardines...
Un peu plus loin le bistrot
café-crème
et croissants chauds
l'homme titube
et dans l'intérieur de sa tête
un brouillard de mots
un brouillard de mots
sardines à manger
œuf dur café-crème
café arrosé rhum
café-crème
café-crème
café-crème arrosé sang !...
Un homme très estimé dans son quartier
a
été égorgé en plein jour
l'assassin le vagabond lui a volé
deux francs
soit un café arrosé
zéro franc soixante-dix
deux tartines beurrées
et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon.
Il est terrible
le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain
il est
terrible ce bruit
quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim.
1. Potin : nom d'une chaîne de magasins d'alimentation.
I- Vous répondrez d'abord â la question suivante (4 points) :
Montrez que les textes du corpus ont une visée commune mais qu'ils atteignent ce but par des voies différentes.
II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) :
Commentaire
Vous commenterez le texte de La Bruyère (texte A).
Dissertation
Dans quelle mesure la forme littéraire peut-elle rendre une argumentation plus efficace ?
Vous appuierez votre développement sur les textes du corpus, vos lectures personnelles et les œuvres étudiées en classe ?
Invention
A son arrivée à la Chambre des Pairs, le narrateur du texte B, sous le coup de l'émotion, prend la parole à la tribune pour faire part de son indignation et plaider pour plus de justice sociale.
Vous rédigerez ce discours.
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Date de dernière mise à jour : 01/04/2021
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