I Vitelloni (Les Vitelloni) de Federico Fellini, 1953 - Cinéma-audiovisuel, étude autour de deux questionnements
Questionnements, "Périodes et courants" et "un cinéaste au travail"
A consulter
- Ressources d'Eduscol
- Le dossier I Vitelloni sur le site de Réseau Canopé
- La présentation du film sur le site Transmettre le cinéma
- Ressource Fellini et les années 1950. Filiation et rupture sur erudig.com
- Vitelloni de Federico Fellini- programme de spécialité cinéma : analyse en vidéo
- Conférence sur le nouveau film au prgramme BAC en spécialité cinéma.
- Olivier Maillard donne des éléments de réflexion sur ce film de F. Fellini.
- Vous trouverez sur cette page les ressources proposées par l'Académie de Paris
- Quand Fellini rêvait de Picasso
- Année : 1953
- Pays : Italie, France
- Genre : Comédie dramatique
- Réalisé par : Federico Fellini
Les Vitelloni (I vitelloni) est un film franco-italien de Federico Fellini, de style proche du néoréalisme italien, sorti en 1953, tourné en noir et blanc, et qui fut aussi commercialisé en France sous le titre Les Inutiles. Il reçut le Lion d'argent au Festival de Venise en 1953.
Le sujet du film, écrit initialement par Ennio Flaiano, se situe dans la petite ville de Pescara, sa ville natale. Le terme vitelloni1 est une expression qui était utilisée à Pescara immédiatement après guerre pour désigner les jeunes sans emploi qui passaient leurs journées au bar. Fellini décide de déplacer la localisation du film à Rimini, sa ville natale, il recrée l'univers de sa jeunesse, de ses souvenirs les plus chers et raconte un monde avec un regard nostalgique, sarcastique et mélancolique.
I Vitelloni, le troisième film de Federico Fellini (Rimini, 1920 - Rome, 1983), n'appartient pas à ce que l'on appelle communément « l'âge d'or du cinéma italien », qui débute avec les années 60, mais il s'inscrit dans une époque où le cinéma italien commence à rompre avec le néo-réalisme d'après-guerre. Les premières transformations sont perceptibles à l'orée des années 50 dans Miracle à Milan de Vittorio de Sica (1951), œuvre dans laquelle le réalisme se mêle au merveilleux, dans Stromboli de Rossellini (1950) ou encore dans Bellissima de Visconti (1951), où « la représentation du collectif s'étiole au profit de portraits individuels ». Elles se poursuivent avec la rupture politique que peut marquer en 1952 Umberto D. ou encore l'année 54 qui connaît la sortie conjointe de films aussi différents que La Strada de Fellini, Voyage en Italie de Rosselini, Senso de Visconti ou encore Un Américain à Rome de Steno.
I Vitelloni se situe au tournant : sorti en 1953, l'action du film se déroule au cours de cette même année - la première scène se passe pendant l'élection de « Miss Irena 1953 » - et elle met en scène un type de personnage nouveau, « les gros veaux », que le titre français a rendu par « Les inutiles » :
« Les Vieux Veaux », c’est-à-dire ceux qui ont dépassé l’âge d’un an. Dans le film, sous-titré les Inutiles, c’est une façon ironique de nommer la bande d’adolescents attardés, sans buts, que sont ces vieux jeunes gens qui ne vivent que des subsides de leurs parents et ne sortent que la nuit à l’abri de la lumière, comme les veaux de lait.
Le mot vitellone est passé dans le langage courant en italien : les vitelloni sont des jeunes gens fainéants, excessivement attirés par les femmes et par l’argent.
cinq hommes, « Tanguy » de leur génération, bien que trentenaires, vivent aux crochets de leur famille et passent leur journée en déambulations dans la ville ou sur la plage, en jeux, festivités diverses et flirts incessants. Ils sont hâbleurs, trompent, mentent, corrompent, volent, rien ne les arrête pour que, coûte que coûte, leur vie se déroule dans le farniente et les plaisirs épicuriens. « J'ai toujours raconté l'histoire du mâle italien, lâche, égoïste et puéril. Les femmes de mes films sont toujours vues à travers les yeux d'un protagoniste masculin qui est prisonnier de certains tabous, conditionné par une éducation catholique [...] », commente Fellini. Pour autant, les personnages féminins ne sont pas particulièrement mis en valeur dans I Vitelloni : Sandra, l'épouse de Fausto, le « gigolo », est d'une naïveté à faire pleurer, quant à Olga, la sœur d'Alberto, fainéant et profiteur, gardien de la morale catholique, subit les défauts et les critiques de son frère sans sourciller, l'entretenant autant que de besoin. Confusément pourtant, ces personnages sont en quête d'une transcendance et d'une grâce (comme dans la scène burlesque du vol de l'ange) qui se trouvent caricaturées à leur contact et qui semblent les fuir.
Ce film, constitué de saynètes qui s'enchaînent les unes aux autres, nous faisant passer d'un moment de vie d'un personnage à un autre, d'une scène entre les cinq amis à une autre, mime l'ennui et l'écoulement du temps dans une ville de province, probablement Rimini, que connaît bien le réalisateur puisqu'il y est né. Comédie, traversée par des scènes qui ne sont pas sans rappeler le mime - on pense par exemple à la scène dans laquelle Alberto se moque grossièrement des « lavatori » -, où les personnages (et le spectateur) s'amusent, I Vitelloni a aussi la saveur du drame que l'esthétique en noir et blanc, le jeu des ombres et des lumières viennent souligner - cf. la scène entre Sandra et Fausto à la sortie du cinéma ou la chambre de Moraldo écoutant sa sœur pleurer - et qu'annoncent l'orage interrompant brutalement les festivités de la première scène ainsi que le motif, très fellinien, du « vent qui vient de la mer » et balaie tout sur son passage. Combien de temps pourra vraiment durer cette vie corrompue et idiote ?
La musique du film, celle de Nino Rota, qui travailla avec Fellini du Cheik blanc en 1952 à Répétition d'orchestre en 1978, signa plus de 170 musiques de film et fut célébré aux Oscars de 1972 pour celle du Parrain, met en évidence cette oscillation entre comédie et drame : musique de cirque, elle peut également être symphonie aux notes inquiétantes, tristes ou mélancoliques. On notera également qu'à deux reprises, notamment dans la grande scène du Carnaval, c'est la célèbre Nonsense Song que chante Charlot dans Les Temps modernes qui accompagne le bal où les couples, dansent joyeusement, se lient et se délient, cette musique, au titre signifiant, venant comme illustrer la thématique centrale du film. Ce sera le personnage le moins « Vitellono » des cinq qui quittera cette vie de non-sens : le frère de Sandra, Moraldo, s'en va en train, les bruits de la locomotive venant se poser sur les images de ses compagnons dormant dans la sérénité illusoirement retrouvée.
Ressource Eduscol
Synopsis
Cinq adolescents attardés, déjà âgés d'une trentaine d'années, vivotent aux crochets de leurs parents dans une petite ville italienne du littoral romagnol. Ils n'ont pas commencé à travailler, n'en ont même pas l'intention et ne savent comment donner à leur existence du rêve, de l'aventure voire de l’amour. Tous de profils différents (un tombeur, un ténébreux, un apprenti-écrivain, un ténor de bord de plage, un cynique), ils se rassemblent en bande mais la médiocrité, la frustration, la solitude de leurs conditions et situations ne parviennent pas à disparaître malgré leurs pauvres tentatives illusoires et désespérées d'échapper au quotidien ensemble, et devant le désespoir de leurs parents respectifs. Seule la fuite de leur ville leur permettrait de s'échapper du nid familial petit-bourgeois mais ils ne s'y résolvent pas et parcourent la ville et la nuit, désœuvrés.
Le film suit plus particulièrement l'évolution de Fausto, « chef et guide spirituel » de la bande, dans sa relation avec Sandra : la première scène est la découverte de la grossesse de Sandra (juste après que Fausto, flirtant avec une autre demoiselle, a déclaré : « Sandra ? Qui c'est, Sandra ? »), puis s'ensuit le mariage, et les… difficultés de Fausto pour accepter ses responsabilités d'époux, voire de père. Il semble pourtant qu'à la fin, Fausto, dûment corrigé, rentre dans le rang, aidé par l'amour de l'honnête mais un peu naïve Sandra.
L'autre personnage central, même s'il se maintient toujours en retrait (sauf dans les scènes avec la statue volée) est Moraldo, le seul dont on sent que le rôle de parasite, d'inutile, lui pèse, et dont l'évolution, solitaire et silencieuse, conclura le film.
Scène culte
Alors que Sandra, lassée d'être honteusement trompée, s'est enfuie du domicile conjugal et pourrait bien commettre l'irréparable, les cinq compères se lancent à sa recherche à bord d'une énorme voiture de maître (plus qu'à moitié délabrée et fort gloutonne en essence), une Lancia Dilambda, haut de gamme ostentatoire datant des années 1930.
Alors qu'ils passent au milieu d'un chantier routier, le très inconséquent Alberto, debout derrière le conducteur, ne peut s'empêcher de montrer très ostensiblement son mépris du travail manuel en faisant un bras d'honneur aux cantonniers , accompagné d'une adresse sans équivoque Laaavoratoriii! (travailleurs) suivie d'une onomatopée évoquant un pet. Comme par une manifestation de justice immanente, la voiture (dont le radiateur bouillait depuis un bon moment) tombe en panne cent mètres après le chantier. Les cantonniers, poings en avant, se ruent vers les Vitelloni qui tentent de trouver le salut dans la fuite. Leopoldo, l'« intellectuel » du groupe, tente de les amadouer en disant « qu' il est socialiste »... et reçoit pour ses efforts diplomatiques une série bien ajustée de coups de pied dans le... bas des reins
À elle seule cette séquence résume le statut des personnages du film, des oisifs improductifs, d'autant plus difficilement tolérables que l'Italie se relève de ses ruines après la Seconde Guerre Mondiale et que le miracle économique italien n'en est encore qu'à ses balbutiements.
Questionnement : Périodes et courants
A consulter
- Entre néoréalisme et modernité
- Livret pédagogique sur canope.fr
- Analyses de séquences
Périodes et courants
Si le film s'éloigne du néo-réalisme historique, lié au droit d'inventaire par le regard d'une nation en reconstruction, il n'en récupère pas moins certains traits caractéristiques (la peinture sociale, le bilan d'une époque, l'inscription dans un paysage - fût-il urbain) que Fellini fait sien et accommode de sa tonalité propre : autant Rossellini avait lancé, avec Rome ville ouverte, le néo-réalisme sur la voie d'un art de la juste distance, à la fois proche et loin, autant Fellini ne craint plus l'empathie, l'outrance, voire la nostalgie teintée de souvenirs personnels, avec ses vilains garçons.
À travers ces comparaisons de part et d'autre de la fin officielle du néo-réalisme, ce sont bien les mutations d'un courant cinématographique, principal vecteur de renouveau du cinéma de l'après-guerre, qui méritent d'être interrogées, et, au-delà, la manière dont s'écrit l'histoire du cinéma : par glissements et pivots autour d'œuvres centrales plutôt que par ruptures.
Fin du néo-réalisme
Le néoréalisme (en italien : neorealismo) est le nom du mouvement cinématographique qui fait son apparition en Italie au cours de la Seconde Guerre mondiale. En opposition parfaite avec l'insouciance et la légèreté de la période des « Téléphones blancs » (Telefoni bianchi), il couvre la période allant de 1943 à environ 1955 - La principale caractéristique de ce courant est de présenter le quotidien en l'état, en adoptant une position moyenne entre scénario, réalité et documentaire et en se servant souvent de gens de la rue à la place d'acteurs professionnels, en quelque sorte en romançant la « vraie vie ».
Marquée à ses débuts par le néoréalisme, l'œuvre de Fellini évolue, dans les années 1960, vers une forme singulière, liée à la modernité cinématographique européenne à laquelle Ingmar Bergman, Michelangelo Antonioni, Alain Resnais, Jean-Luc Godard ou Andreï Tarkovski sont rattachés. Ses films se caractérisent alors par le foisonnement des thèmes et du récit, l'artificialité revendiquée de la mise en scène et l'absence totale de frontière entre le rêve, l'imaginaire, l'hallucination et le monde réel
Les années 1950 se caractérisent par de profonds changements dans la société et en particulier en Italie, qui s'oriente vers l'industrialisation. Les films de Fellini tournés à cette époque sont nés dans ce contexte : après Le Cheik blanc, le réalisateur tourne Les Vitelloni, également connu sous le titre Les Inutiles, qui raconte la vie provinciale d'un groupe d'amis à Rimini, cinq jeunes trentenaires oisifs vivant aux frais de leurs parents. Cette fois, le film est accueilli avec enthousiasme. À la Mostra de Venise, où elle est présentée le 26 août 1953, l'œuvre remporte le Lion d'argent. La renommée de Fellini s'étend pour la première fois à l'étranger, le film fut en effet un succès au box-office en Argentine et connut également du succès en France, aux États-Unis et en Angleterre
Nous sommes en 1953 et le réalisateur riminien, âgé d'une trentaine d'années, a recours à des épisodes et des souvenirs de son adolescence, remplis de personnages destinés à rester dans les mémoires. L'articulation de l'intrigue du film en grands blocs épisodiques, expérimentée ici pour la première fois, sera une habitude dans nombre de ses films ultérieurs.
Bien que de nombreuses parties du scénario aient un caractère autobiographique, décrivant des situations et des personnages de son enfance, le réalisateur riminien préfère se détacher de la réalité en inventant une ville fictive, mêlant souvenirs et fantaisie, comme il le fera vingt ans plus tard avec le Rimini d'Amarcord.
Fellini trouve le juste équilibre pour dévoiler les personnages incapables de trouver leur voie.
Fausto est marqué par sa grande capacité de séduction, il recherche la conquête féminine plus exaltante que son épouse, Leonora Ruffo symbole des contraintes, travail, enfant.
Alberto Sordi incarne le mâle italien et ses contradictions car il est incapable de se placer en figure patriarcale dans un contexte familial et économique. Paradoxalement, l'aspect viril contraste avec son déguisement en femme alors qu'il est sous alcool.
Moraldo est le vrai double de Fellini, c'est un homme plutôt rêveur à qui il manque le courage de fuir sa vie pour un ailleurs.
Un travail sur les contrastes
- Importance des scènes festives
- Un registre surréaliste, onirique du réalisateur
- Finalité dramatique car les personnages sont rattrapés par la réalité
- Le début du film marqué par une élection de concours de beauté est interrompue par la pluie. Du point de vue symbolique, elle traduit la fin de l'innocence pour Fausto, Sandra étant enceinte de lui. L'enchantement du réel prend la forme d'un carnaval, d’un vieil acteur de music-hall homosexuel, d’un petit cheminot : une manière de dépasser le néo-réalisme
- la musique de Nino Rota accordent les sensations dramatiques
- Autre scène essentielle : le bal costumé dans lequel s'exprime toute l'extravagance fellinienne. Cette scène est annonciatrice d'un lendemain malheureux pour Alberto.
- La représentation théâtrale pour Leopoldo semble le faire s'approcher de ses ambitions mais en vain car il finit par tout perdre.
- Derrière la vie futile des personnages incapables d'engagement : la description de l'Italie après la guerre mondiale et naissance d'un des plus importants mouvements esthétiques du cinéma
- C'est par une stratégie de la distanciation du réel et du contexte social que Fellini dépasse le néo-réalisme. L'espace réel pour ces adolescents attardés n'est pas l'espace social mais un espace recréé dans leur imaginaire. Le cinéma de Fellini se caractérise par cette stratégie de distanciation.
1953, année-tournant : Les Vitelloni, Voyage en Italie de Roberto Rossellini, et l’ouvrage collectif L’Amour à la ville (surtout l’épisode d’Antonioni, Tentative de suicide) marquaient, dix ans après sa naissance, l’éclatement définitif du néo-réalisme originel dans des voies résolument divergentes et son renouvellement, à un moment où il commençait à s’épuiser à la simple description naturaliste de la réalité. […] La simplicité, la pudeur, l’émotion vraie de ce témoignage qu’est Les Vitelloni, sans nul doute tiennent-elles essentiellement au fait qu’il s’agit d’une autobiographie. Le regard de Fellini sur sa propre jeunesse est lucide, cruel même, mais jamais méchant : il sourit de ses personnages mais ne les reprise point, irresponsables qu’ils sont de ce culte du désœuvrement et des plaisanteries stupides où les incline une société mesquine et maladive. Le génie propre de Fellini, c’est aussi sa découverte du paysage-état d’âme : plages désertes battues par les vents, places nocturnes envahies par le mystère, à l’image du vide intérieur de ces tristes héros et de leur vague à l’âme. Cela est mis en valeur par une conception ouverte et limpide du récit visuel, où le montage n’intervient plus comme une reconstruction intellectuelle de l’espace et du temps, mais bien plutôt comme le vecteur direct de la rêverie à travers le sentiment presque douloureux de la durée qui fuit sans retour. Et la participation envoûtante de Nino Rota est l’un des éléments déterminants de la fascination profonde exercée par ce chef-d’œuvre méconnu.
Les Lettres Françaises – 9 février 1962
Questionnement : Un cinéaste au travail
L'analyse de la genèse et de la production du film, appuyée notamment sur des documents spécifiques (notes de travail, extraits de scénarios, dessins préparatoires), permet de retracer les différentes étapes de la fabrication d'un chef-d'œuvre.
Se pose en particulier la question de la continuité fascinante de l'imaginaire fellinien à toutes les étapes d'élaboration du film : dès les dessins préparatoires, le film est là, dans une cohérence qui donne à ce processus créatif les allures d'une création continuée - qui pourra nourrir en retour celui des élèves.
A consulter
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Date de dernière mise à jour : 09/08/2023
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