High School de Frederick Wiseman - Un cinéaste au travail et réception et public
Deux questionnements autour de High School - Un cinéaste au travail et réception et public
High School est le second film documentaire du réalisateur américain Frederick Wiseman - Le film documentaire ou le documentaire est un genre cinématographique, audiovisuel, télévisuel et radiophonique qui se différencie de la fiction.
Le film a été sélectionné en 1991 pour être préservé au National Film Registry
Frederick Wiseman est un réalisateur américain, né le 1er janvier 1930 à Boston. Il est avant tout auteur de documentaires.
Réalisateur très prolifique qui est aussi scénariste, producteur, monteur, preneur de son, voire interprète de ses films, il s'attache principalement à brosser un tableau critique de la société et des institutions américaines.
L'ambition de Wiseman est de brosser un panorama critique des États-Unis, et, comme il le dira plus tard, le résultat est « un seul et très long film qui durerait quatre-vingts heures ». Même The Cool World, le seul film qu'il ait uniquement produit, s'inscrit dans cette lignée, sorte de semi-documentaire sur la jeunesse délinquante de Harlem. Après Titicut Follies, il poursuit une série de documentaires aux titres évocateurs : High School et Law and Order en 1969, Hospital en 1970, Juvenile Court en 1973, et Welfare (Aide sociale) en 1975. Tous offrent une vision très critique des grandes institutions créées en principe dans un but caritatif, montrant par exemple la déshumanisation qu'imposent les systèmes bureaucratiques.
Fiche technique du film High School
- Titre : High School
- Réalisation et montage : Frederick Wiseman
- Directeur de la photographie : Richard Leiterman
- Production : Osti Productions
- Lieu du tournage : Northeast High School - 1801 Cottman Avenue, Philadelphia, Pennsylvania, USA
- Genre : documentaire
- Durée : 75 minutes
- Date de sortie en États-Unis : 1968
Synopsis
Le film a été tourné dans un lycée important de la ville de Philadelphie, la Northeast High School, lequel avait une réputation d'excellence.
Frederick Wiseman montre comment l'école ne transmet pas seulement un savoir mais aussi des valeurs sociales. Pendant cinq semaines, entre mars et avril 1968, le cinéaste a suivi plusieurs groupes de lycéens. L'idéologie et les valeurs de l'institution transparaissent à travers une série de rencontres entre les professeurs, les parents, les étudiants et les dirigeants de l'école. Le documentaire met en avant les caractéristiques conservatrices, la discipline, et le conformisme de l'enseignement apporté aux élèves
Le film est caractéristique du cinéma direct dont Frederick Wiseman est l'un des pionniers aux États-Unis, il reste comme un témoignage des standards d'éducation de la fin des années 1960 dans ce pays. Pendant longtemps, High School, mal reçu notamment par le personnel du lycée, n'a pas été projeté à Philadelphie car Wiseman avait été menacé de poursuites judiciaires par le comité de direction de l'établissement
Orientation d'analyse : programme limitatif de l'enseignement de spécialité du cinéma-audiovisuel
- Ressource Education.gouv
- Note de service du 13-6-2022
- A consulter sur transmettrelecinema.com
- High School (1968) nous permet de voir notamment comment toute une génération a été conditionnée au cœur d’un système éducatif à majorité blanche.
1968. La France connaît l'un des mouvements sociaux les plus importants de son histoire durant lequel éclate la révolte des étudiants qu'accompagnent manifestations d'ampleur et grève générale. Aux États-Unis, alors que le pays est massivement engagé dans la guerre du Vietnam, on prend conscience, à la suite de l'offensive du Tết, de la force militaire du Viêt-cong qui parvient à occuper pendant plus d'un mois les faubourgs de Saïgon et la citadelle de Hué, tuant quelque trois mille personnes liées à la république du Vietnam. Les mouvements d'opposition, notamment estudiantins, sont de plus en plus massifs : des campus sont occupés, celui de Colombia en avril, et de fréquents affrontements opposent les jeunes et les forces de police, comme à Chicago à la fin du mois d'août. Au cœur de cette tourmente, le Civil Rights Movement se poursuit, et l'année 68 est marquée par l'assassinat de Martin Luther King, le 4 avril. C'est au cœur d'une vague d'émeutes que le président Johnson promulgue, le 11, le nouveau Civil Rights Act. Deux mois auparavant, en février, la Nasa présente les cinq sites d'atterrissage potentiels sur la lune, quand, le 21 janvier, Simon and Garfunkel sortent l'album The Graduate, qui contient le célèbre « Mrs Robinson » et s'empare, en avril, de la première place du Billboard 200.
Tous ces événements traversent High School, le deuxième film documentaire de Frederick Wiseman, mais à bas bruit, soit subrepticement comme par flash (« Le Club du Spectateur va discuter de l'assassinat de Martin Luther King », 58'07-58'13 ; la présence soudaine d'un policier dans un couloir de l'établissement, 58'14-58'22), soit dans des séquences qui y renvoient plus ou moins directement (« Qui serait membre d'un club où il y aurait une minorité de noirs [...] et d'un club dont la moitié des membres serait noire, l'autre blanche ? [...] Combien refuseraient ? Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise réponse », 52'32-53'14 ; la séquence consacrée au projet SPARC, 1'05'44-1'08'56 ; la séquence finale consacrée à la lecture publique de la lettre de Bob Walters, ancien élève du lycée, qui s'engage au Vietnam, 1'10'19-1'14'12). De fait, Northeast, lycée d'enseignement secondaire public de Philadelphie en Pennsylvanie, que le cinéaste filme pendant cinq semaines entre mars et avril 1968, ne semble pas vibrer des révoltes qui grondent à l'extérieur (« Le lycée Northeast est un endroit si cloîtré, si retiré. », 53'47). Sans voix off ni musique, sans aucun accompagnement - à la manière d'un Charles Reznikoff, ce poète objectiviste américain qui accueille dans sa poésie, matériaux bruts, les témoignages entendus lors de procès sans ajouter un mot qui lui soit propre -, le film, qui va fonder le cinéma vérité, avec une méthode reprise par Richard Leacock en Angleterre et Raymond Depardon en France, est comme dédramatisé et neutre.
Néanmoins, cette neutralité, cette objectivité d'un réalisateur qu'on a le sentiment de ne pas sentir n'est qu'apparence. C'est pourquoi, afin d'en cerner la construction et l'expression d'une part, et la réception d'autre part, on étudiera plus particulièrement High School dans la perspective des questionnements suivants :
Les principes de base des documentaires de Frederick Wiseman : un cinéaste au travail et réception du public, deux questionnements
Frederick Wiseman affirme dès son premier documentaire ses principes de base : un cinéaste au travail
absence d'interviews, de commentaires off et de musiques additionnelles, pour privilégier un lent apprivoisement des personnes à la caméra, jusqu'à ce qu'elles ne la remarquent plus. Ses méthodes demeurent à peu près les mêmes au cours de sa carrière : accumuler des centaines d'heures de tournage dans un temps relativement court, en général quatre à six semaines, et de n'en garder au montage qu'environ un dixième ; il assure lui-même la prise de son, téléguidant le cadreur dans le détail de sa prise de vues, afin d'obtenir des images d'une beauté formelle non académique et toujours chargées d'émotions comme de sens.
Le montage dure alors plusieurs mois, au cours desquels le réalisateur découvre les sens cachés de rapprochements qui naissent sous ses ciseaux, et accorde une grande attention aux corps, aux gestes, tout en restituant ou en mettant en scène les silences. C'est pourquoi il qualifie ce montage de « mosaïque »
Inévitablement donc, un tel travail entre vérité et fiction convoque l'attention et la réflexion des spectateurs, ce qui est le but recherché. Comme le résume Wiseman lui-même : « Si le film marche c’est parce que le spectateur a le sentiment qu’il est présent au cours des événements. Une partie de mon travail consiste à lui donner assez de renseignements pour cela. Le montage doit laisser du temps au raisonnement. […] Je dois donner au spectateur le sentiment qu’il peut avoir confiance dans ce que je lui fournis »
Wiseman filme la réalité sociale comme une réalité déjà «mise en scène»
- Wiseman se contente d'observer et d'écouter ce qui se déroule devant lui. Il refuse également de guider ses spectateurs par un commentaire en voix off comme le font souvent les reportages télévisés ou les documentaires institutionnels. Pourtant, son point de vue sur la réalité est loin d'être neutre
- Un point de vue engagé
- C'est à la caméra puis au montage que reviennent la tâche de faire varier le point de vue.
- Mise en scène d'une hiérarchie : la caméra passe plutôt de l'un à l'autre sans les rassembler à l'écran. Ou bien la composition de l'image accorde une place prépondérante au corps de l'adulte, qui, au premier plan, «écrase» de sa présence les élèves à l'arrièreplan. Wiseman utilise également de nombreux gros plans sur les visages, les bouches et les mains pour donner à sentir le poids de l'autorité
- Un récit éclaté, une structure particulière un montage de « mosaïque »
- Consulter le livret pédagogique sur cnc.fr
Pour aller plus loin
Mise en oeuvre et orientation du questionnement
- Ressource Education.gouv
- Note de service du 13-6-2022
Un cinéaste au travail
on étudiera le découpage des séquences et le montage, qui, jouant par capillarité, sont la plupart du temps porteur de sens. On pourra, par exemple, mettre en évidence l'opposition entre l'apparence et la réalité que révèle le passage de la séquence chorale (53'15-53'44), où les élèves répètent studieusement sous la baguette de leur professeur, à celle qui montre un étudiant, aux lunettes noires tel John Lennon, exprimant, devant ses camarades et son enseignante, sa colère au sujet de ce lycée-cloître, de ce « lycée qui pue » (54'24). Par ailleurs, on interrogera les effets et les symboliques des gros plans, constants dans le film, sur des parties du corps - les oserait-on toutes aujourd'hui ? -, sur des visages, de face ou de profil, sur des bouches qui parlent (1'29), qui chantent (53'37), sur des yeux et des regards, que parfois dérobent voire déforment des lunettes d'un autre âge (41'29) ou qui révèlent des pensées en train de se faire (36'54), des imaginaires en fuite (37'03), sur des gestes d'apprentissage (18'57-19'07), mais aussi sur de multiples objets personnels et quotidiens.
On réfléchira enfin au choix du (presque) huis clos. En effet, le lycée apparaît à l'écran davantage comme une sorte de citadelle, entourée de ses remparts grillagés, le travelling horizontal de la séquence d'ouverture (00'38) plantant le décor, avec ses longs couloirs à l'allure de couloirs de prison, souvent vides (37'30), dans lesquels une figure d'autorité est susceptible de demander aux étudiants s'ils ont un « laissez-passer » (13'09-14'38). Un lycée « moralement et socialement, poubelle » (56'49), dans lequel on enseigne le fait que « le monde vous reconnaît selon vos résultats » (8'40), que « tenue de soirée » signifie robe longue ou smoking (29'04-32'19), que « si un couple vit ensemble, la société considère qu'ils sont mariés, et c'est ainsi formidable : la société sait prendre soin d'unions régulières, responsables et stables » (26'56), que « plus un garçon ou une fille a de rapports avant le mariage, moins ils feront de bons partenaires de mariage » (59'24). Un lycée dans lequel, en présence de la mère dont le gros plan sur le regard semble trahir les pensées (45'08), une probable conseillère d'orientation pose au seul père « la question cruciale : "de quel budget disposez-vous pour les études de votre fille ?" » (45'01).
Au fil du propos du film, sans éclat ni coup de force, ce sont bien les stéréotypes de classes, de genres, de pouvoir, qui sont démontés et révélés, et notamment ceux que véhiculent le modèle éducatif à l'œuvre. « En matière d'éducation, de ses relations avec le monde d'aujourd'hui, ce lycée est pitoyable, c'est un vrai cloître. Il est complètement coupé de ce qui se passe dans le monde. Il faut changer ça. C'est notre but ici. Et non pas de parler cinéma. » (54'33-54'46). Et la fin du film de venir confirmer cette hypothèse : à la suite de l'expression publique de satisfaction d'un membre de la direction (ou d'une professeure) devant l'engagement d'un ancien élève au Vietnam (« Le fait de recevoir une telle lettre me fait penser que nous avons réussi notre travail, ici, au lycée Northeast », 1'14'00-1'14'10), le cinéaste coupe avant toute éventuelle réplique de la part des lycéens que, par ailleurs, tout à fait exceptionnellement, il choisit de ne pas montrer. Leur réponse est comme volée par l'adulte (« Je pense que vous en conviendrez », 1'14'11), mais le découpage de la séquence ouvre à des horizons de grogne possibles. Y a-t-il pour autant un jugement de la part de Wiseman ? Sans doute pas au sens où il chercherait à nous imposer son point de vue. La discrétion de celui-ci, même dans l'efficace des visibilités restaurées, vise sans doute surtout à éveiller notre faculté de juger et à nous laisser maîtres du final cut moral.
La réception du public
On s'en doute, au moment de sa sortie, le film a été fort mal perçu par le personnel de l'établissement qui menaça Frederick Wiseman de poursuites judiciaires. Il ne sera pas projeté à Philadelphie. Pourtant, c'est une méthode qui s'invente ici et se perfectionne : des cinéastes héritiers qui la déclineront (et même à notre époque, notamment avec Claire Simon) jusqu'aux sociologues qui se l'approprieront, la réception de High school est vivante et complexe.
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Date de dernière mise à jour : 10/08/2023
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