HLP -Représentations du monde-L’homme et l’animal : la place que l’homme s’attribue, frontières hommes animal, le statut de l’animal-animal machine
Montaigne Essais, Apologie de Raimond Sebond-Descartes • Lettre au Marquis de Newcastel • Lettre à Morus - la thèse de l’animal machine
Les pouvoirs de la parole
HLP Première
Représentations du monde
HLP Première
L’homme, un animal comme les autres ?
L’homme, un animal comme les autres ?
A-Polémique
Etude comparée : Montaigne Essais, Apologie de Raimond Sebond
Descartes
• Lettre au Marquis de Newcastel
• Lettre à Morus 5 février 1649 : « Le plus grand préjugé que nous ayons retenu de notre enfance est celui de croire que les animaux pensent »
Analyse - Autre analyse des lettres de Descartes
la thèse de l’animal machine
Montaigne, Essais, Livre II, chapitre 12 « apologie de Raimond Sebond »
« La présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et fragile de toutes les créatures c’est l’homme, et quant et quant, la plus orgueilleuse. Elle se sent et se voit logée ici parmi la bourbe et le fient du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l’univers, au dernier étage du logis, et le plus éloigné de la voute céleste, avec les animaux de la pire condition des trois : et se va plantant par imagination au-dessus du cercle de la Lune, et ramenant le ciel sous ses pieds. C’est par la vanité de ceste même imagination qu’il s’égale à Dieu, qu’il s’attribue les conditions divines, qu’il se trie soi-même et sépare de la presse des autres créatures, taille les parts aux animaux ses confrères et compagnons, et leur distribue telle portion de facultés et de forces, que bon lui semble. Comment connait-il par l’effort de son intelligence, les branles internes et secrets des animaux ? par quelle comparaison d’eux à nous conclut-il la bêtise qu’il leur attribue ? Quand je me joue à ma chatte, qui sait, si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d’elle ? Nous nous entretenons de singeries réciproques. Si j’ay mon heure de commencer ou de refuser, aussi à elle la sienne. (…) Ce défaut qui empêche la communication d’entre elles et nous, pourquoi n’es- il aussi bien à nous qu’à elles ? C’est à deviner à qui est la faute de ne nous entendre point : car nous ne les entendons non plus qu’elles nous. Par cette même raison elles nous peuvent estimer bêtes, comme nous les estimons. (…) Au demeurant nous découvrons bien évidemment, qu’entre elles il y a une pleine et entière communication, et qu’elles s’entrentendent, non seulement celles de même espèce, mais aussi d’espèces diverses (…) En certain aboyer du chien le cheval connait qu’il y a de la colère : de certaine autre sienne voix, il ne s’effraye point. Aux bêtes même qui n’ont pas de voix, par la société d’offices, que nous voyons entre elles, nous argumentons aisément quelque autre moyen de communication : leurs mouvements discourent et traitent. (…) Pourquoi non, tout aussi bien que nos muets disputent, argumentent, et content des histoires par signes ? J’en ai vu de si souples et formez à cela, qu’à la vérité, il ne leur manquait rien à la perfection de se savoir faire entendre (…) La peste de l’homme, c’est l’opinion de savoir.»
René DESCARTES, Lettre à Morus, 5 février 1649.
Je regarde comme une chose démontrée qu’on ne saurait prouver qu’il y ait des pensées dans les bêtes (…). Il est plus probable de faire mouvoir comme des machines les vers de terre, les moucherons, les chenilles et le reste des animaux, que de leur donner une âme immortelle.
Premièrement parce qu’il est certain que, dans les corps des animaux, ainsi que dans les nôtres, il y a des os, des nerfs, des muscles, du sang, des esprits animaux, et autres organes disposés de telle sorte qu’ils peuvent produire par eux-mêmes, sans le secours d’aucune pensée, tous les mouvements que nous observons dans les animaux, ce qui paraît dans les mouvements convulsifs, lorsque, malgré l’âme même, la machine du corps se meut souvent avec plus de violence et en plus de différentes manières qu’il n’a coutume de le faire avec les secours de la volonté; d’ailleurs parce qu’il est conforme à la raison que l’art imitant la nature, et les hommes pouvant construire divers automates où il se trouve du mouvement sans aucune pensée, la nature puisse de son côté produire ses automates, et bien pus excellents, comme les brutes, que ceux qui viennent de main d’homme, surtout ne voyant aucune raison pour laquelle la pensée doive se trouver partout où nous voyons une conformation de membres telle que celle des animaux et qu’il est plus surprenant qu’il y ait une âme dans chaque corps humain que de n’en point trouver dans les bêtes.
La principale raison, selon moi, qui peut nous persuader que les bêtes sont privées de raison, est que, bien que parmi celles d’une même espèce les unes soient plus parfaites que les autres, comme dans les hommes, ce qui se remarque particulièrement dans les chevaux et dans les chiens, dont les uns ont plus de dispositions que les autres à retenir ce qu’on leur apprend, et bien qu’elles nous fassent toutes connaître clairement leurs mouvements naturels de colère, de crainte, de faim, et d’autres semblables, ou par la voix, ou par d’autres mouvements du corps, on n’a point cependant encore observé qu’aucun animal fût parvenu à ce degré de perfection d’user d’un véritable langage, c’est-à-dire qui nous marquât par la voix, ou par d’autres signes, quelque chose qui pût se rapporter plutôt à la seule pensée qu’à un mouvement naturel. Car la parole est l’unique signe et la seule marque assurée de la pensée cachée et renfermée dans les corps; or tous les hommes les plus stupides et les plus insensés, ceux mêmes qui sont privés des organes de la langue et de la parole, se servent de signes, au lieu que les bêtes ne font rien de semblable, ce que l’on peut prendre pour la véritable différence entre l’homme et la bête.
Je passe, pour abréger, les autres raisons qui ôtent la pensée aux bêtes. Il faut pourtant remarquer que je parle de la pensée, non de la vie, ou du sentiment; car je n’ôte la vie à aucun animal, ne la faisant consister que dans la seule chaleur de coeur. Je ne leur refuse pas même le sentiment autant qu’il dépend des organes du corps. Ainsi, mon opinion n’est pas si cruelle aux animaux qu’elle est favorable aux hommes, je dis à ceux qui ne sont point attachés aux rêveries de Pythagore, puisqu’elle les garantit du soupçon même de crime quand ils mangent ou tuent des animaux.
Descartes, Lettre au marquis de Newcastel (23 novembre 1646)
Pour ce qui est de l'entendement ou de la pensée que Montaigne et quelques autres attribuent aux bêtes, je ne puis être de leur avis. Ce n'est pas que je m'arrête à ce qu'on dit, que les hommes ont un empire absolu sur tous les autres animaux; car j'avoue qu'il y en a de plus forts que nous, et crois qu'il y en peut aussi avoir qui aient des ruses naturelles, capables de tromper les hommes les plus fins. Mais je considère qu'ils ne nous imitent ou surpassent, qu'en celles de nos actions qui ne sont point conduites par notre pensée; car il arrive souvent que nous marchons et que nous mangeons, sans penser en aucune façon à ce que nous faisons, et c'est tellement sans user de notre raison que nous repoussons les choses qui nous nuisent, et parons les coups que l'on nous porte, qu'encore que nous voulussions expressément ne point mettre nos mains devant notre tête, lorsqu'il arrive que nous tombons, nous ne pourrions nous en empêcher. Je crois aussi que nous mangerions, comme les bêtes, sans l'avoir appris, si nous n'avions aucune pensée ; et l'on dit que ceux qui marchent en dormant, passent quelquefois des rivières à nage, où ils se noieraient étant éveillés. Pour les mouvements de nos passions bien qu'ils soient accompagnés en nous de pensée, à cause que nous avons la faculté de penser, il est néanmoins très évident qu'ils ne dépendent pas d'elle, parce qu'ils se font souvent malgré nous, et que, par conséquent, ils peuvent être dans les bêtes, et même plus violents qu'ils ne sont dans les hommes, sans qu'on puisse, pour cela, conclure qu'elles aient des pensées. Enfin il n'y a aucune de nos actions extérieures, qui puisse assurer ceux qui les examinent, que notre corps n'est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu'il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles, ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion. Je dis les paroles ou autres signes, parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix; et que ces signes soient à propos, pour exclure le parler des perroquets, sans exclure celui des fous, qui ne laisse pas d'être à propos des sujets qui se présentent, bien qu'il ne suive pas la raison; et j'ajoute que ces paroles ou signes ne se doivent rapporter à aucune passion, pour exclure non seulement les cris de joie ou de tristesse, et semblables, mais aussi tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse lorsqu'elle la voit arriver, ce ne peut être qu'en faisant que la prolation de cette parole devienne le mouvement de quelqu'une de ses passions; à savoir, ce sera un mouvement de l'espérance qu'elle a de manger, si l'on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise lorsqu'elle l'a dit; et ainsi toutes les choses qu'on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu'ils les peuvent faire sans aucune pensée. Or il est, ce me semble, fort remarquable que la parole, étant ainsi définie, ne convient qu'à l'homme seul. Car, bien que Montagne et Charon aient dit qu'il y a plus de différence d'homme à homme, que d'homme à bête, il ne s'est toutefois jamais trouvé aucune bête si parfaite, qu'elle ait usé de quelque signe, pour faire entendre à d'autres animaux quelque chose qui n'eût point de rapport à ses passions; et il n'y a point d'homme si imparfait, qu'il n'en use; en sorte que ceux qui sont sourds et muets, inventent des signes particuliers, par lesquels ils expriment leurs pensées. Ce qui me semble un très fort argument pour prouver que ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu'elles n'ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent. Et on ne peut dire qu'elles parlent entre elles, mais que nous ne les entendons pas ; car, comme les chiens et quelques autres animaux nous expriment leurs passions, ils nous exprimeraient aussi bien leurs pensées, s'ils en avaient »
PROBLÈMES PHILOSOPHIQUES :
La Fontaine et Descartes : les animaux ont-ils une âme ?
L'animal-machine est une thèse de la métaphysique selon laquelle les animaux sont des machines
L'animal-machine est une thèse de la métaphysique selon laquelle les animaux sont des machines. Comme les machines, les animaux seraient des assemblages de pièces et rouages, dénués de conscience ou de pensée. Cette conception naît chez René Descartes au xviie siècle, et s'intègre dans une vision mécaniste du réel. Ses implications éthiques et religieuses en font une théorie controversée. Dès sa publication, elle est combattue par des penseurs comme Pierre Gassendi et plus tard par des empiristes comme Étienne Bonnot de Condillac dans son Traité des animaux. Elle est toutefois largement influente dans d'autres courants. Au xviiie siècle, La Mettrie en propose une version radicalisée, où l'homme lui-même est assimilé à la machine (L'Homme Machine)-
L'expression « animal-machine » est inspirée des textes de Descartes, où le philosophe compare les animaux aux machines. Sa thèse s'expose notamment dans la Lettre au Marquis de Newcastle du , dans la cinquième partie du Discours de la méthode ou encore dans la Lettre à Morus du .
Selon lui, les animaux obéissent à leurs instincts et donc au principe de causalité : en effet, tel stimulus extérieur (par exemple l'odeur d'un prédateur) entraîne chez l'animal telle réponse comportementale prévisible (ici, la fuite). Descartes affirme donc que l'on pourra un jour créer une machine qui soit indifférenciable d'un animal.
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La Fontaine contre Descartes DESCARTES, René – Les Animaux-machines
Descartes, dans le Discours de la méthode, veut réduire les phénomènes vitaux aux lois de la mécanique. La Fontaine, dans le Discours à Madame de la Sablière, fait un résumé parodique de la théorie de « ce mortel dont on eût fait un dieu chez les païens » et qu’il réfute par des exemples probants.
Ce débat sur l’animal passionnait déjà Aristote, Plutarque, Sénèque et Montaigne. En 1755 Condillac lui consacrera son Traité sur les animaux.
La Fontaine contre Descartes
DESCARTES, René – Les Animaux-machines
[...] qu'a-t-on besoin d'autre chose pour expliquer la nutrition et la production des diverses humeurs qui sont dans le corps, sinon de dire que la force dont le sang, en se raréfiant, passe du cœur vers les extrémités des artères, fait que quelques unes de ses parties s'arrêtent entre celles des membres où elles se trouvent, et y prennent la place de quelques autres qu'elles en chassent, et que, selon la situation ou la figure ou la petitesse des pores qu'elles rencontrent, les unes se vont rendre en certains lieux plutôt que les autres, en même façon que chacun peut avoir vu divers cribles, qui, étant diversement percés, servent à séparer divers grains les uns des autres ? Et enfin, ce qu'il y a de plus remarquable en tout ceci, c'est la génération des esprits animaux, qui
sont comme un vent très subtil, ou plutôt comme une flamme très pure et très vive, qui, montant continuellement en grande abondance du cœur dans le cerveau, se va rendre de là par les nerfs dans les muscles, et donne le mouvement à tous les membres; sans qu'il faille imaginer d'autre cause qui fasse que les parties du sang qui, étant les plus agitées et les plus pénétrantes, sont les plus propres à composer ces esprits, se vont rendre plutôt vers le cerveau que vers ailleurs, sinon que les artères qui les y portent sont celles qui viennent du cœur le plus en ligne droite de toutes, et que, selon les règles des mécaniques, qui sont les mêmes que celles de la nature, lorsque plusieurs choses tendent ensemble à se mouvoir vers un même côté où il n'y a pas assez de place pour toutes, ainsi que les parties du sang qui sortent de la concavité gauche du cœur tendent vers le cerveau, les plus faibles et moins agitées en doivent être détournées par les plus fortes, qui par ce moyen s'y vont rendre seules.
J'avais expliqué assez particulièrement toutes ces choses dans le traité que j'avais eu ci-devant dessein de publier. Et ensuite j'y avais montré quelle doit être la fabrique des nerfs et des muscles du corps humain, pour faire que les esprits animaux étant dedans aient la force de mouvoir ses membres, ainsi qu'on voit que les têtes, un peu après être coupées, se remuent encore et mordent la terre nonobstant qu'elles ne soient plus animées ; quels changements se doivent faire dans le cerveau pour causer la veille, et le sommeil, et les songes ; comment la lumière, les sons, les odeurs, les goûts, la chaleur, et toutes les autres qualités des objets extérieurs y peuvent imprimer diverses idées, par l'entremise des sens; comment la faim, la soif, et les autres passions intérieures y peuvent aussi envoyer les leurs ; ce qui doit y être pris pour le sens commun où ces idées sont reçues, pour la mémoire qui les conserve, et pour la fantaisie qui les peut diversement changer et en composer de nouvelles, et, par même moyen, distribuant les esprits animaux dans les muscles, faire mouvoir les membres de ce corps en autant de diverses façons, et autant à propos des objets qui se présentent à ses sens et des passions intérieures qui sont en lui, que les nôtres se puissent mouvoir sans que la volonté les conduise : ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates, ou machines mouvantes, l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des muscles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considéreront ce corps comme une machine, qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes. Et je m'étais ici particulièrement arrêté à faire voir que s'il y avait de telles machines qui eussent les organes et la figure extérieure d'un singe ou de quelque autre animal sans raison, nous n'aurions aucun moyen pour reconnaître qu'elles ne seraient pas en tout de même nature que ces animaux ; au lieu que s'il y en avait qui eussent la ressemblance de nos corps, et imitassent autant nos actions que moralement il serait possible, nous aurions toujours deux moyens très certains pour reconnaître qu'elles ne seraient point pour cela de vrais hommes : dont le premier est que jamais elles ne pourraient user de paroles ni d'autres signes en les composant, comme nous faisons pour déclarer aux autres nos pensées : car on peut bien concevoir qu'une machine soit tellement faite qu'elle profère des paroles, et même qu'elle en profère quelques-unes à propos des actions corporelles qui causeront quelque changement en ses organes, comme, si on la touche en quelque endroit, qu'elle demande ce qu'on lui veut dire; si en un autre, qu'elle crie qu'on lui fait mal, et choses semblables ; mais non pas qu'elle les arrange diversement pour répondre au sens de tout ce qui se dira en sa présence, ainsi que les hommes les plus hébétés peuvent faire. Et le second est que, bien qu'elles fissent plusieurs choses aussi bien ou peut-être mieux qu'aucun de nous, elles manqueraient infailliblement en quelques autres, par lesquelles on découvrirait qu'elles n'agiraient pas par connaissance, mais seulement par la disposition de leurs organes : car, au lieu que la raison est un instrument universel qui peut servir en toutes sortes de rencontres, ces organes ont besoin de quelque particulière disposition pour chaque action particulière ; d'où vient qu'il est moralement impossible qu'il y en ait assez de divers en une machine pour la faire agir en toutes les occurrences de la vie de même façon que notre raison nous fait agir. Or, par ces deux mêmes moyens, on peut aussi connaître la différence qui est entre les hommes et les bêtes. Car c'est une chose bien remarquable qu'il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ; et qu'au contraire il n'y a point d'autre animal, tant parfait et tant heureusement né qu'il puisse être, qui fasse le semblable. Ce qui n'arrive pas de ce qu'ils ont faute d'organes : car on voit que les pies et les perroquets peuvent proférer des paroles ainsi que nous, et toutefois ne peuvent parler ainsi que nous, c'est-à-dire en témoignant qu'ils pensent ce qu'ils lisent; au lieu que les hommes qui étant nés sourds et muets sont privés des organes qui servent aux autres pour parler, autant ou plus que les bêtes, ont coutume d'inventer d'eux-mêmes quelques signes, par lesquels ils se font entendre à ceux qui étant ordinairement avec eux ont loisir d'apprendre leur langue Et ceci ne témoigne pas seulement que les bêtes ont moins de raison que les hommes, mais qu'elles n'en ont point du tout : car on voit qu'il n'en faut que fort peu pour savoir parler ; et d'autant qu'on remarque de l'inégalité entre les animaux d'une même espèce, aussi bien qu'entre les hommes, et que les uns sont plus aisés à dresser que les autres, il n'est pas croyable qu'un singe ou un perroquet qui serait des plus parfaits de son espèce n'égalât en cela un enfant des plus stupides, ou du moins
un enfant qui aurait le cerveau troublé, si leur âme n'était d'une nature toute différente de la nôtre. Et on ne doit pas confondre les paroles avec les mouvements naturels, qui témoignent les passions, et peuvent être imités par des machines aussi bien que par les animaux; ni penser, comme quelques anciens, que les bêtes parlent, bien que nous n'entendions pas leur langage. Car s'il était vrai, puisqu'elles ont plusieurs organes qui se rapportent aux nôtres, elles pourraient aussi bien se faire entendre à nous qu'à leurs semblables. C'est aussi une chose fort remarquable que, bien qu'il y ait plusieurs animaux qui témoignent plus d'industrie que nous en quelques unes de leurs actions, on voit toutefois que les mêmes n'en témoignent point du tout en beaucoup d'autres : de façon que ce qu'ils font mieux que nous ne prouve pas qu'ils ont de l'esprit, car à ce compte ils en auraient plus qu'aucun de nous et feraient mieux en toute autre chose; mais plutôt qu'ils n'en ont point, et que c'est la nature qui agit en eux selon la disposition de leurs organes : ainsi qu'on voit qu'un horloge, qui n'est composée que de roues et de ressorts, peut compter les heures et mesurer le temps plus justement que nous avec toute notre prudence.
J'avais décrit après cela l'âme raisonnable, et fait voir qu'elle ne peut aucunement être tirée de la puissance de la matière, ainsi que les autres choses dont j'avais parlé, mais qu'elle doit expressément être créée ; et comment il ne suffit pas qu'elle soit logée dans le corps humain, ainsi qu'un pilote en son navire, sinon
peut-être pour mouvoir ses membres, mais qu'il est besoin qu'elle soit jointe et unie plus étroitement avec lui, pour avoir outre cela des sentiments et des appétits semblables aux nôtres, et ainsi composer un vrai homme.
Au reste, je me suis ici un peu étendu sur le sujet de l'âme, à cause qu'il est des plus importants : car, après l'erreur de ceux qui nient Dieu, laquelle je pense avoir ci-dessus assez réfutée, il n'y en a point qui éloigne plutôt les esprits faibles du droit chemin de la vertu, que d'imaginer que l'âme des bêtes soit de même nature que la nôtre, et que par conséquent nous n'avons rien ni à craindre ni à espérer après cette vie, non plus que les mouches et les fourmis ; au lieu que lorsqu'on sait combien elles diffèrent, on comprend beaucoup mieux les raisons qui prouvent que la nôtre est d'une nature entièrement indépendante du corps, et par conséquent qu'elle n'est point sujette à mourir avec lui ; puis, d'autant qu'on ne voit point d'autres causes qui la détruisent, on est naturellement porté à juger de là qu'elle est immortelle.
(René Descartes, Discours de la Méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences (1637), Ve partie).
René Descartes, biographie, citations, oeuvres principales, courant, système philosophique : Fiche auteur bac
René Descartes, biographie, citations, oeuvres principales, courant, système philosophique : Fiche auteur Textes de référence sur le thème de la vérité en philosophie - lexique de définitions, la raison et le réel.
LA FONTAINE, Jean (de) – Discours à Madame de la Sablière
Iris, je vous louerais, il n'est que trop aisé ;
Mais vous avez cent fois notre encens refusé,
En cela peu semblable au reste des mortelles,
Qui veulent tous les jours des louanges nouvelles.
Pas une ne s'endort à ce bruit si flatteur,
Je ne les blâme point, je souffre cette humeur ;
Elle est commune aux Dieux, aux Monarques, aux belles.
Ce breuvage vanté par le peuple rimeur,
Le Nectar que l'on sert au maître du Tonnerre,
Et dont nous enivrons tous les Dieux de la terre,
C'est la louange, Iris. Vous ne la goûtez point ;
D'autres propos chez vous récompensent ce point,
Propos, agréables commerces,
Où le hasard fournit cent matières diverses,
Jusque-là qu'en votre entretien
La bagatelle a part : le monde n'en croit rien.
Laissons le monde et sa croyance.
La bagatelle, la science,
Les chimères, le rien, tout est bon. Je soutiens
Qu'il faut de tout aux entretiens :
C'est un parterre, où Flore épand ses biens ;
Sur différentes fleurs l'Abeille s'y repose,
Et fait du miel de toute chose.
Ce fondement posé, ne trouvez pas mauvais
Qu'en ces Fables aussi j'entremêle des traits
De certaine Philosophie
Subtile, engageante, et hardie. On l'appelle nouvelle. En avez-vous ou non
Ouï parler ? Ils disent donc
Que la bête est une machine ;
Qu'en elle tout se fait sans choix et par ressorts :
Nul sentiment, point d'âme, en elle tout est corps.
Telle est la montre qui chemine,
A pas toujours égaux, aveugle et sans dessein.
Ouvrez-la, lisez dans son sein ;
Mainte roue y tient lieu de tout l'esprit du monde.
La première y meut la seconde,
Une troisième suit, elle sonne à la fin.
Au dire de ces gens, la bête est toute telle :
L'objet la frappe en un endroit ;
Ce lieu frappé s'en va tout droit,
Selon nous, au voisin en porter la nouvelle.
Le sens de proche en proche aussitôt la reçoit.
L'impression se fait. Mais comment se fait-elle ?
- Selon eux, par nécessité,
Sans passion, sans volonté.
L'animal se sent agité
De mouvements que le vulgaire appelle
Tristesse, joie, amour, plaisir, douleur cruelle,
Ou quelque autre de ces états.
Mais ce n'est point cela ; ne vous y trompez pas.
- Qu'est-ce donc ? – Une montre. – Et nous ? – C'est autre chose. Voici
de la façon que Descartes l'expose ;
Descartes, ce mortel dont on eût fait un Dieu
Chez les Païens, et qui tient le milieu
Entre l'homme et l'esprit, comme entre l'huître et l'homme
Le tient tel de nos gens, franche bête de somme.
Voici, dis-je, comment raisonne cet auteur.
Sur tous les animaux, enfants du Créateur,
J'ai le don de penser ; et je sais que je pense.
Or vous savez, Iris, de certaine science,
Que, quand la bête penserait,
La bête ne réfléchirait
Sur l'objet ni sur sa pensée.
Descartes va plus loin, et soutient nettement
Qu'elle ne pense nullement.
Vous n'êtes point embarrassée
De le croire, ni moi. Cependant, quand aux bois
Le bruit des cors, celui des voix,
N'a donné nul relâche à la fuyante proie,
Qu'en vain elle a mis ses efforts
A confondre et brouiller la voie,
L'animal chargé d'ans, vieux Cerf, et de dix cors,
En suppose un plus jeune, et l'oblige par force
A présenter aux chiens une nouvelle amorce.
Que de raisonnements pour conserver ses jours !
Le retour sur ses pas, les malices, les tours,
Et le change, et cent stratagèmes
Dignes des plus grands chefs, dignes d'un meilleur sort !
On le déchire après sa mort :
Ce sont tous ses honneurs suprêmes. Quand la Perdrix
Voit ses petits
En danger, et n'ayant qu'une plume nouvelle,
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas,
Elle fait la blessée, et va traînant de l'aile,
Attirant le Chasseur, et le Chien sur ses pas,
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille ;
Et puis, quand le Chasseur croit que son Chien la pille,
Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit
De l'Homme, qui confus des yeux en vain la suit.
Non loin du Nord il est un monde
Où l'on sait que les habitants
Vivent ainsi qu'aux premiers temps
Dans une ignorance profonde :
Je parle des humains ; car quant aux animaux,
Ils y construisent des travaux
Qui des torrents grossis arrêtent le ravage,
Et font communiquer l'un et l'autre rivage.
L'édifice résiste, et dure en son entier ;
Après un lit de bois, est un lit de mortier.
Chaque Castor agit ; commune en est la tâche ;
Le vieux y fait marcher le jeune sans relâche.
Maint maître d'oeuvre y court, et tient haut le bâton.
La république de Platon
Ne serait rien que l'apprentie
De cette famille amphibie.
Ils savent en hiver élever leurs maisons,
Passent les étangs sur des ponts,
Fruit de leur art, savant ouvrage ; Et nos pareils ont beau le voir,
Jusqu'à présent tout leur savoir
Est de passer l'onde à la nage.
Que ces Castors ne soient qu'un corps vide d'esprit,
Jamais on ne pourra m'obliger à le croire ;
Mais voici beaucoup plus : écoutez ce récit,
Que je tiens d'un Roi plein de gloire.
Le défenseur du Nord vous sera mon garant ;
Je vais citer un prince aimé de la victoire ;
Son nom seul est un mur à l'empire Ottoman ;
C'est le roi polonais. Jamais un Roi ne ment.
Il dit donc que, sur sa frontière,
Des animaux entre eux ont guerre de tout temps :
Le sang qui se transmet des pères aux enfants
En renouvelle la matière.
Ces animaux, dit-il, sont germains du Renard,
Jamais la guerre avec tant d'art
Ne s'est faite parmi les hommes,
Non pas même au siècle où nous sommes.
Corps de garde avancé, vedettes, espions,
Embuscades, partis, et mille inventions
D'une pernicieuse et maudite science,
Fille du Styx, et mère des héros,
Exercent de ces animaux
Le bon sens et l'expérience.
Pour chanter leurs combats, l'Achéron nous devrait
Rendre Homère. Ah s'il le rendait,
Et qu'il rendît aussi le rival d'Epicure !
Que dirait ce dernier sur ces exemples-ci ? Ce que j'ai déjà dit, qu'aux
bêtes la nature
Peut par les seuls ressorts opérer tout ceci ;
Que la mémoire est corporelle,
Et que, pour en venir aux exemples divers
Que j'ai mis en jour dans ces vers,
L'animal n'a besoin que d'elle.
L'objet, lorsqu'il revient, va dans son magasin
Chercher, par le même chemin,
L'image auparavant tracée,
Qui sur les mêmes pas revient pareillement,
Sans le secours de la pensée,
Causer un même événement.
Nous agissons tout autrement,
La volonté nous détermine,
Non l'objet, ni l'instinct. Je parle, je chemine ;
Je sens en moi certain agent ;
Tout obéit dans ma machine
A ce principe intelligent.
Il est distinct du corps, se conçoit nettement,
Se conçoit mieux que le corps même :
De tous nos mouvements c'est l'arbitre suprême.
Mais comment le corps l'entend-il ?
C'est là le point : je vois l'outil
Obéir à la main ; mais la main, qui la guide ?
Eh ! qui guide les Cieux et leur course rapide ?
Quelque Ange est attaché peut-être à ces grands corps. Un esprit vit en
nous, et meut tous nos ressorts :
L'impression se fait. Le moyen, je l'ignore :
On ne l'apprend qu'au sein de la Divinité ;
Et, s'il faut en parler avec sincérité,
Descartes l'ignorait encore.
Nous et lui là-dessus nous sommes tous égaux.
Ce que je sais, Iris, c'est qu'en ces animaux
Dont je viens de citer l'exemple,
Cet esprit n'agit pas, l'homme seul est son temple.
Aussi faut-il donner à l'animal un point
Que la plante, après tout, n'a point.
Cependant la plante respire :
Mais que répondra-t-on à ce que je vais dire ?
Discours à Mme de la Sablière, La Fontaine - L’exposé de la théorie de Descartes - La théorie de La Fontaine
Mme de la Sablière était l’amie et la protectrice de la Fontaine. Elle tenait un salon littéraire très fréquenté par le fabuliste. Cette fable est située à la fin du neuvième Livre. Elle relate un combat philosophique à travers lequel La Fontaine remet en question la thèse cartésienne des animaux machine. On y retrouve le thème récurrent de la diversité propre à la poétique de La Fontaine. Il y a trois interlocuteurs, les cartésiens, Iris (dans la mythologie grecque, c’était la messagère ailée des Dieux, l’arc-en-ciel était son écharpe) et La Fontaine. Iris est la porte parole des cartésiens. Nous étudierons dans un premier temps, la théorie de Descartes puis, en second lieu, la philosophie de La Fontaine.
I – L’exposé de la théorie de Descartes
1 – Théorie de l’animal machine
Cette fable soulève le débat sur l’intelligence et l’âme des bêtes. Ce n’était pas un débat nouveau au XVIIème siècle. En fait, ce débat est ouvert depuis l’antiquité. La Fontaine l’aborde. Dans le Discours à Mme de la Sablière, La Fontaine commence par donner la parole à ses adversaires, les cartésiens, adeptes de la philosophie nouvelle aux vers 26 et 28. Il engage une spéculation philosophique et métaphysique à laquelle il oppose les chimères et les bagatelles, vers 18 et 19. Descartes est favorable à la thèse des animaux machine, thèse développée dans le Discours de la méthode. Les animaux sont de simples automates, vers 31 et 32. Les bêtes n’auraient pas le libre arbitre, elles sont soumises à la mécanique du déterminisme, aux ressorts, elles ne sont que matière. Les vers 36 à 40 illustrent le fait que les bêtes sont dépourvues de raison et exclusivement soumises au déterminisme et à la fatalité du mécanisme du déterminisme. Jusqu’au vers 40, les cartésiens exposent la théorie des animaux machine.
2 – le mécanisme de la sensation
A partir du vers 40, les cartésiens reprennent la parole pour donner une explication du mécanisme de la sensation chez l’animal. Le dialogue se poursuit entre Iris et La Fontaine. Des vers 29 à 66, on comprend que les animaux n’ont pas d’âme, qu’ils n’éprouvent aucune sensation et qu’ils ne possèdent aucune intelligence. Ce sont des machines animées par des ressorts comme peuvent l’être les aiguilles d’une montre, vers 33. On comprend que tout se fait chez les bêtes par nécessité, vers 45 à 50, sans passion, sans volonté uniquement par causes nécessaires, sans aucune agitation de l’âme. Les hommes agissent librement, les animaux par nécessité, vers 31, selon un mécanisme. L’animal est simplement agité de mouvements purement matériels dans lesquels l’âme n’intervient pas, vers 63 à 66. La métaphore de la montre prouve que l’animal est juste frappé par l’objet sensoriel comme une montre, une machine, vers 40 à 44. Il n’y a donc que des mouvements, c’est-à-dire des actions, des ressorts. Ainsi, la bête ne réfléchirait pas au sens philosophique du terme, cela supposerait une pensée capable de réflexivité, vers 60. Or si la bête pensait, vers 62, elle ne penserait pas recevoir des sensations.
La Fontaine quitte le plan des constructions dogmatiques pour se transporter sur celui des faits et de l’observation. Quatre exemples et une fable lui permettent de réfuter la doctrine de Descartes.
II – La théorie de La Fontaine
1 - la réfutation de Descartes par l’exemple
Dans un premier temps, des vers 68 à 81, nous voyons l’exemple du cerf pressé par une meute de chiens lors d’une chasse à courre. On remarque que le cerf déjoue ses poursuivants en brouillant les pistes.
Des vers 82 à 91, l’exemple de la perdrix est mis en avant, elle détourne sur elle l’attention du chasseur pour sauver ses petits.
Ensuite, des vers 92 à 115, l’exemple illustrateur est celui des castors, ils se protègent des rigueurs de l’hiver en construisant des maisons très solides. Nous avons au vers 105, une allusion à Platon, La République, la communauté idéale pourrait avoir des leçons à recevoir de la communauté des castors.
Enfin, les animaux voisins des renards témoignent d’une ruse et d’une finesse supérieure à celles du renard, aux vers 116 à 135.
Ces quatre exemples, renversent la théorie de Descartes pour lui substituer celle de Gassendi. Les animaux pour agir de la sorte ont une certaine intelligence, ils ont du bon sens, le sens de l’expérience et une mémoire corporelle, ils se souviennent de l’expérience passée. Ils ne sont donc pas simplement comme le pensait Descartes, dotés d’un instinct mécanique. S’ils sont doués de mémoire corporelle, l’existence de cette mémoire n’implique pas l’existence de la pensée. Pour parachever sa démonstration, La Fontaine insère une fable dans le discours, vers 179 à 237. Des rats trouvent un œuf pour leur festin. Un renard survient. Comment transporter l’œuf pour le mettre en sûreté ? Il est impossible de le rouler. Un des deux rats se met alors sur le dos, prend l’œuf entre ses pattes tandis que l’autre tire l’attelage par la queue. Cela est, pour La Fontaine, la preuve que les animaux sont doués d’une faculté d’intervention.
2 – Les convictions de La Fontaine
A défaut d’une raison raisonnante, les animaux ont l’esprit semblable à celui des jeunes enfants, vers 199 à 202. Il n’est pas développé mais il existe ; Cet esprit les rend capables de sentir et de juger. De l’intelligence, il passe ensuite à la question de l’âme ; Il considère deux sortes d’âmes, l’une matérielle et mortelle qui insuffle la vie, l’autre immatérielle et immortelle qui rapproche de Dieu. L’être humain a les deux, l’animal n’est doté que de la première, « imparfaite et grossière », vers 237. Tout dépend de l’action de l’âme universelle, vers 168. Quand cette action est faible, elle produit les règnes minéraux et végétaux. Lorsqu’elle est plus forte, elle crée le règne animal. Quand elle est encore plus nette, elle aboutit à la formation de l’homme. Un même principe vital anime la nature et l’âme végétative est dans les plantes, l’âme sensitive, dans les bêtes et l’âme raisonnable dans l’homme.
Conclusion
Le Discours à Mme de la Sablière est un plaidoyer vigoureux en faveur de l’existence de l’âme des bêtes ; Sa foi en l’existence d’une âme et d’une intelligence chez les animaux a des conséquences philosophiques. Dans cette hypothèse, l’homme, s’il conserve sa supériorité, n’est plus l’unique créature douée de raison.
Textes complémentaires et ouverture de la question
Kant, Les animaux ne sont pas de simples machines
Critique de la faculté de juger (1790), IIe partie, Sect. I, 65. Ed. Vrin
Dans une montre une partie est l'instrument du mouvement des autres, mais un rouage n'est pas la cause efficiente de la production d'un autre rouage ; certes une partie existe pour une autre, mais ce n'est pas par cette autre partie qu'elle existe. C'est pourquoi la cause productrice de celles-ci et de leur forme n'est pas contenue dans la nature (de cette matière), mais en dehors d'elle dans un être, qui d'après des Idées peut réaliser un tout possible par sa causalité.
C'est pourquoi aussi Dans une montre, un rouage n'en produit pas un autre et encore moins une montre d'autres montres, en utilisant (organisant) pour cela une autre matière ; elle ne remplace pas d'elle-même les parties dont elle est privée et ne corrige pas les défauts de la première formation à l'aide des autres parties ; si elle est déréglée, elle ne se répare pas non plus d'elle-même, toutes choses qu'on peut attendre de la nature organisée. Un être organisé n'est pas seulement une machine - car celle-ci ne détient qu'une force motrice -, mais il possède une énergie formatrice qu'il communique même aux matières qui ne la possèdent pas (il les organise), énergie formatrice qui se propage et qu'on ne peut expliquer uniquement par la puissance motrice (le mécanisme). (...)
Dans la nature les êtres organisés sont ainsi les seuls, qui, lorsqu'on les considère en eux-mêmes et sans rapport à d'autres choses, doivent être pensés comme possibles seulement en tant que fins de la nature et ce sont ces êtres qui procurent tout d'abord une réalité objective au concept d'une fin qui n'est pas une fin pratique, mais une fin de la nature, et qui, ce faisant, donnent à la science de la nature le fondement d'une téléologie, c'est-à-dire une manière de juger ses objets d'après un principe particulier, que l'on ne serait autrement pas du tout autorisé à introduire dans cette science (parce que l'on ne peut nullement apercevoir a priori la possibilité d'une telle forme de causalité).
l’homme et le loup cf Baptiste Morizot Les diplomates
-Le diplomate
HLP 1ère – trame de parcours – semestre 2?
Qu’est-ce qu’un « diplomate » ? diploma = plié en deux : concevoir deux intérêts qui pê contraires et qu’on va tenter de concilier. Nécessité d’interprêter…
Cas concret : l’homme et le loup cf Baptiste Morizot Les diplomates
Baptiste Morizot, né en 1983, est un enseignant-chercheur en philosophie français, maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille. Ses recherches sont principalement axées autour de la relation entre l'humain et le vivant et les enjeux philosophiques qui découlent de cette cohabitation.
Lectures
- Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables (1949), « Penser comme une montagne », p.168-170, traduit de l’américain par Anna Gibson (GF Flammarion 2000).
« Un hurlement surgi des profondeurs résonne entre les parois rocheuses, dévale la montagne et s’évanouit dans le noir. C’est un cri de douleur primitive, plein de défi, et plein de mépris pour toutes les adversités du monde. Chaque être vivant (et bien des morts aussi, peut-être) prête l’oreille à cet appel. (…) Pourtant, (…) seule la montagne a vécu assez longtemps pour écouter objectivement le hurlement du loup. Ceux qui sont incapables d’en déchiffrer le sens caché ne peuvent cependant en ignorer la présence, car on la sent partout, et elle suffit à distinguer un territoire à loups de n’importe quel autre territoire. Cette présence résonne dans la moelle de ceux qui entendent les loups dans la nuit, ou scrutent leurs traces pendant le jour. Même si on ne les entend pas, même si on ne les voit jamais, leur présence est sous-entendue par mille petits incidents : le hennissement nocturne d’un cheval de bât, un éboulis de pierres, un cerf qui s’enfuit en bondissant, la position des ombres sous les épicéas. Seul un irréductible novice peut ne pas sentir la présence ou l’absence des loups, ou le fait que les montagnes ont une opinion secrète à leur sujet. Ma propre conviction sur ce chapitre remonte au jour où j’ai vu mourir une louve. (…) En ce temps-là, nous n’avions jamais entendu parler de la possibilité de ne pas tuer un loup si l’occasion s’en présentait. (…) Quand nous eûmes vidé nos chargeurs, la vieille louve était à terre, et un louveteau se traînait vers le sanctuaire des éboulis. Nous atteignîmes la louve à temps pour voir une flamme verte s’éteindre dans ses yeux. Je compris alors, et pour toujours, qu’il y avait dans ces yeux-là quelque chose de neuf que j’ignorais – quelque chose que la montagne et elle étaient seules à connaître. J’étais jeune à l’époque, et toujours le doigt sur la gâchette ; pour moi, à partir du moment où moins de loups signifiait plus de cerfs, pas de loups signifierait à l’évidence paradis des chasseurs. Après avoir vu mourir la flamme verte, je sentis que la louve pas plus que la montagne ne partageaient ce point de vue. »
Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables (1949), « Penser comme une montagne »
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Date de dernière mise à jour : 01/08/2023
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