HLP 2024. De l'écrit, parole figée à la parole vivante des dialogues platoniciens. L'enseignement oral.La parole déviante. Aristophane, les Nuées
Phèdre, Platon - Condamnation de l'écriture et de sa prétention à dire la vérité -Un enseignement exclusivement oral, la maïeutique, l'élenctique et l'anatreptique-Humanités, littérature, philosophie
Les pouvoirs de la parole
HLP Première
Représentations du monde
HLP Première
Ressources académiques, HLP = problématisation, séquences
La théorie platonicienne de la parole dans Phèdre - Parcours HLP de l'académie de Nancy - Problématisation et documents numériques, académie de Bordeaux
Problématisation sur les pouvoirs de la parole, académie de Strasbourg - Académie de Lille, ressources les pouvoirs de la parole et les représentations du monde
Propositions de séquences élaborées par des professeurs de philosophie et de Lettres de l’académie de Versailles
Philosophie et poésie d’hier à aujourd’hui - -Entre Ulysse et Shéhérazade : la parole et le pouvoir
Accords et désaccords : à quelle condition la parole peut-elle créer du lien ?
Quelle valeur accorder à la parole qui séduit ? - - L’exercice de la parole en démocratie
Propositions de séquences élaborées par les professeurs de l’académie de Dijon
Projet 1
Un premier axe de travail : comment la parole est constitutive d’une identite?. The?me aborde? : l’autorite? de la parole
Un deuxie?me axe de travail : comment les formes essentielles de la parole (chant, rhe?torique, dialogue) correspondent au conflit entre se?duction et re?flexion, entre de?sir et raison.
The?mes aborde?s : l’art de la parole, les se?ductions de la parole
Projet 2
Proposition d’entrée dans le thème des "pouvoirs de la parole " par une réflexion en deux temps : d’abord sur l’amour, puis sur la justice.
La parole écrite. Référence, Phèdre, Platon - Condamnation de l'écriture et de sa prétention à dire la vérité
Phèdre, 274 b-276 b - L’écrit est figé.
Socrate – Il nous reste, n’est-ce pas, à examiner la convenance ou l’inconvenance qu’il peut y avoir à écrire, et de quelle manière il est honnête ou indécent de le faire?
Phèdre – Oui.
Socrate – Sais-tu, à propos de discours, quelle est la manière de faire ou de parler qui te rendra à Dieu le plus agréable possible?
Phèdre – Pas du tout. Et toi?
Socrate – Je puis te rapporter une tradition des anciens, car les anciens savaient la vérité. Si nous pouvions la trouver par nous-mêmes, nous inquiéterions-nous des opinions des hommes?
Phèdre – Quelle plaisante question ! Mais dis-moi ce que tu prétends avoir entendu raconter.
Socrate – J’ai donc oui dire qu’il existait près de Naucratis, en Égypte, un des antiques dieux de ce pays, et qu’à ce dieu les Égyptiens consacrèrent l’oiseau qu’ils appelaient ibis. Ce dieu se nommait Theuth. C’est lui qui le premier inventa la science des nombres, le calcul, la géométrie, l’astronomie, le trictrac, les dés, et enfin l’écriture. Le roi Thamous régnait alors sur toute la contrée ; il habitait la grande ville de la Haute-Égypte que les Grecs appellent Thèbes l’égyptienne, comme ils nomment Ammon le dieu-roi Thamous. Theuth vint donc trouver ce roi pour lui montrer les arts qu’il avait inventés, et il lui dit qu’il fallait les répandre parmi les Égyptiens. Le roi lui demanda de quelle utilité serait chacun des arts. Le dieu le renseigna ; et, selon qu’il les jugeait être un bien ou un mal, le roi approuvait ou blâmait. On dit que Thamous fit à Theuth beaucoup d’observations pour et contre chaque art. Il serait trop long de les exposer. Mais, quand on en vint à l’écriture: « Roi, lui dit Theuth, cette science rendra les Égyptiens plus savants et facilitera l’art de se souvenir, car j’ai trouvé un remède pour soulager la science et la mémoire. »
Et le roi répondit:
« Très ingénieux Theuth, tel homme est capable de créer les arts, et tel autre est à même de juger quel lot d’utilité ou de nocivité ils conféreront à ceux qui en feront usage. Et c’est ainsi que toi, père de l’écriture, tu lui attribues, par bienveillance, tout le contraire de ce qu’elle peut apporter. [275] Elle ne peut produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode, des savants imaginaires au lieu de vrais savants. »Phèdre – Il t’en coûte peu, Socrate, de proférer des discours égyptiens ; tu en ferais, si tu voulais, de n’importe quel pays que ce soit.
Socrate – Les prêtres, cher ami, du sanctuaire de Zeus à Dodone ont affirmé que c’est d’un chêne que sortirent les premières paroles prophétiques. Les hommes de ce temps-là, qui n’étaient pas, jeunes gens, aussi savants que vous, se contentaient dans leur simplicité d’écouter un chêne ou une pierre, pourvu que ce chêne ou cette pierre dissent la vérité. Mais à toi, il importe sans doute de savoir qui est celui qui parle et quel est son pays, car tu n’as pas cet unique souci : examiner si ce qu’on dit est vrai ou faux.
Phèdre – Tu as raison de me blâmer, car il me semble aussi qu’il faut penser de l’écriture ce qu’en dit le Thébain.
Socrate – Ainsi donc, celui qui croit transmettre un art en le consignant dans un livre, comme celui qui pense, en recueillant cet écrit, acquérir un enseignement clair et solide, est vraiment plein de grande simplicité. Sans contredit, il ignore la prophétie d’Ammon, s’il se figure que des discours écrits puissent être quelque chose de plus qu’un moyen de réveiller le souvenir chez celui qui déjà connaît ce qu’ils contiennent.
Phèdre – Ce que tu dis est très juste.
Socrate – C’est que l’écriture, Phèdre, a, tout comme la peinture, un grave inconvénient. Les oeuvres picturales paraissent comme vivantes ; mais, si tu les interroges, elles gardent un vénérable silence. Il en est de même des discours écrits. Tu croirais certes qu’ils parlent comme des personnes sensées ; mais, si tu veux leur demander de t’expliquer ce qu’ils disent, ils te répondent toujours la même chose. Une fois écrit, tout discours roule de tous côtés ; il tombe aussi bien chez ceux qui le comprennent que chez ceux pour lesquels il est sans intérêt ; il ne sait point à qui il faut parler, ni avec qui il est bon de se taire. S’il se voit méprisé ou injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père, car il n’est pas par lui-même capable de se défendre ni de se secourir.
Phèdre – Tu dis encore ici les choses les plus justes.
Socrate – [276] Courage donc, et occupons-nous d’une autre espèce de discours, frère germain de celui dont nous avons parlé ; voyons comment il naît, et de combien il surpasse en excellence et en efficacité le discours écrit.
Phèdre – Quel est donc ce discours et comment racontes-tu qu’il naît?
Socrate – C’est le discours qui s’écrit avec la science dans l’âme de celui qui étudie ; capable de se défendre lui-même, il sait parler et se taire devant qui il convient.
Phèdre – Tu veux parler du discours de l’homme qui sait, de ce discours vivant et animé, dont le discours écrit, à justement parler, n’est que l’image ?
Ce passage, très discuté, semble insister sur la menace que représente l’écrit pour la pratique philosophique. Dans ce texte écrit, le personnage de Socrate semblerait condamner, à première vue, l’écriture, et ce de façon nette et sans ambiguïté. Il y condamnerait la prétention de l’écriture à dire la vérité et semblerait dire que l’oralité est une forme plus adéquate à la manifestation de la vérité. De plus, il indiquerait que l'écriture, permettant d'utiliser les textes écrits comme des supports matériels de la mémoire, conduirait à une moindre mémoire humaine (les hommes se reposant davantage sur ces outils).
L’écriture constitue une insoutenable déchéance du logos. Elle n’est pas considérée par Platon comme un bon véhicule pour la pensée philosophique, principalement à cause de sa rigidité. Le discours ne peut adapter son contenu selon la disposition intérieure de son auditoire, il ne peut ni distinguer devant qui il est juste de parler ni pénétrer réellement l’âme de ceux à qui il s’adresse. Par ailleurs, Platon évoque le philosophe dialecticien comme égal de la divinité. La méthode dialectique devient chez Platon le moyen par lequel l’âme s’élève, par degrés, des apparences multiples et changeantes aux Idées - aux essences - modèles immuables dont le monde sensible n’est que l’image, du devenir à l’Être, de l’opinion à la science. Le philosophe parvient à la contemplation de l’être vrai, qui est nécessairement un, invariable, impérissable et qui n’apparaît pas, mais qui est seulement pensable. Le savoir légué au texte écrit s’expose à un double péril : d’une part, s’il tombe entre les mains d’un auditoire ayant de mauvaises intentions, il risque d’être utilisé à des fins autres que celles prévues au départ ; d’autre part, même s’il s’adresse à un auditoire préparé, sa forme figée ne lui permettra pas de réellement pénétrer et transformer l’âme de ceux à qui il s’adresse. Le discours écrit risque de produire des effets plus néfastes que bénéfiques.
Dans la deuxième partie du dialogue, Socrate fixe les buts et modes de la vraie rhétorique : elle doit guider les âmes vers la Beauté et la justice. Cela implique d’une part la connaissance de la vérité et de l’autre, la connaissance de l’âme ; cela implique également chez l’auteur des discours d’aimer ses auditeurs afin de les conduire à la vérité. Le motif de l’amour conçu comme élément nécessaire de toute exposition de notre pensée donne à la parole orale une valeur essentiellement supérieure à celle de la parole écrite. La rhétorique n’est pas une simple pratique de l’argumentation en vue de convaincre un auditoire, de le flatter ou de triompher dans une discussion ; la rhétorique traditionnelle (dont Lysias est le représentant) tire les âmes vers le bas.
La parole vivante dans les dialogues philosophiques platoniciens - Un enseignement exclusivement oral, la maïeutique, l'élenctique et l'anatreptique
Dans l'ensemble de ses dialogues, Platon, philosophe ayant écrit environ 32 dialogues tous aporétiques, c'est-à-dire, qu'ils se terminent par une question, la conclusion reste ouverte, il fait ainsi de la philosophie un véritable questionnement, il considère que le point de départ de la réflexion philosophique est l'étonnement, il met en scène un certain nombre d'interlocuteurs en face de Socrate. Ainsi, une question apporte des éléments de réponses qui soulèvent à leur tour d'autres questions. Chaque affirmation d'un interlocuteur donne lieu grâce à l'interrogation socratique, à une autre interrogation. Socrate pose l'ironie comme point de départ philosophique; Il est l'incarnation de l'humilité philosophique au sens où il affirme, «je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien». L'attitude des interlocuteurs qui croient savoir s'oppose à celle d'un Socrate qui avoue qu'il sait qu'il ne sait pas.
Ce cheminement socratique de la pensée est rendu possible grâce à la dialectique;
nous entendons par dialectique, la confrontation de deux thèses opposées, une thèse et une antithèse. Il faut examiner les contradictions d'une théorie. Mettre en avant les contradictions de chacun jusqu'au moment ou il va être révélé à lui-même dans son ignorance dialectique.
La matière de la réflexion n'est pas le savoir de Socrate mais le jeu des questions et réponses vers lequel il s'engage afin de susciter la réflexion chez ses élèves interlocuteurs. Nous sommes en pleine quête philosophique avec la méthode infaillible pour parvenir à la sagesse appelée la maïeutique.
Il faut entendre par maïeutique «l'art d'accoucher les esprits du vide dont ils sont pleins» ainsi que nous l'affirme Platon dans son dialogue intitulé Le Théétète. Socrate est comme sa mère qui était sage-femme, il accouche les esprits en les aidant à mettre au jour les contradictions qu'ils portent en eux-mêmes. Il fait accoucher les esprits de leur pseudo-savoir.
La maïeutique, du grec ancien μαιευτικ?, par analogie avec le personnage de la mythologie grecque Maïa, qui veillait aux accouchements, est une technique qui consiste à bien interroger une personne pour lui faire exprimer (accoucher) des connaissances. La maïeutique consiste à faire accoucher les esprits de leurs connaissances. Elle est destinée à faire exprimer un savoir caché en soi. Son invention remonte au ive siècle av. J.-C. et est attribuée au philosophe Socrate, en faisant référence au Théétète de Platon. Socrate employait l'ironie (ironie socratique) pour faire comprendre aux interlocuteurs que ce qu'ils croyaient savoir n'était en fait que croyance. La maïeutique, contrairement à l'ironie, s'appuie sur une théorie de la réminiscence qui affirme faire ressurgir des vies antérieures les connaissances oubliées.
Cette méthode socratique s'appelle la maïeutique mais il y a trois étapes :La maïeutique, le fait d'accoucher les esprits du vide dont ils sont pleins, montrer le vide de celui qui croit savoir, l'elenctique est l'étape de la réfutation, il s'agit de montrer les contradictions. On l'appelle la catharsis. Enfin, l'anatreptique est l'étape du renversement.
La pédagogie socratique est particulière. Il faut faire prendre conscience à l'interlocuteur de son ignorance qui s'ignore. En opposition, l'ignorance socratique se sait, elle a conscience d'elle-même. Cette prise de conscience amène au mutisme, c'est-à-dire, au silence.
Faire dire ce que l'on veut, la parole déviante. Un exemple, Aristophane, les Nuées
"des âmes sages ...vous apprennent, moyennant finances, à faire triompher par le raisonnement le juste et l'injuste. »
Les Nuées (en grec : Νεφ?λαι / Nephélai) est une comédie grecque classique d'Aristophane, du ve siècle av. J.-C. Le thème de la pièce s'articule autour du conflit générationnel qui éclate entre le vieil Athénien, Strepsiadès, et son fils Phidippidès. La pièce se présente comme une critique de la philosophie en parodiant la célèbre figure de Socrate, penseur contemporain d'Aristophane, ce qui fait des Nuées l’une des pièces les plus étudiées depuis l’Antiquité.
Strepsiadès est un vieux paysan qui, ruiné par les goûts luxueux de son épouse et par les courses de chevaux de leur fils Phidippidès, se tourmente à cause de ses dettes. Il lui vient alors l’idée d’envoyer son fils au « Philosophoir » (phrontistèrion), l’école de Sokratès – parodie du nom de Socrate –, pour y apprendre les deux types de raisonnement : le Supérieur et l’Inférieur. Ce dernier raisonnement, l’Inférieur, permet de gagner les causes injustes, et ainsi le père pourra échapper à ses créanciers.
Phidippidès refuse d’abord d’entrer au « Philosophoir », méprisant Sokratès et sa bande d’excentriques. Strepsiadès décide alors de s’y rendre par lui-même pour acquérir le savoir qu’il désire. Il y trouve Sokratès, suspendu dans une corbeille, et lui implore de divulguer son enseignement. Sokratès lui montre le chœur des Nuées au loin. Il lui explique que la cause des phénomènes naturels réside non pas dans les Dieux, puisqu’ils n’existent pas, mais bien dans les Nuées, ces divinités fumeuses qui font tomber la pluie et résonner le tonnerre (cette explication du « tourbillon aérien » comme cause de la pluie est reprise de deux penseurs présocratiques, Anaxagore et Démocrite). Selon Sokratès, ce sont aussi les Nuées qui fournissent le raisonnement aux sophistes.
Dès que Strepsiadès renie sa croyance envers les Dieux, les Nuées acceptent d’aider le paysan dans sa quête. Ce dernier se rend chez Sokratès pour commencer sa leçon. Entretemps, le chœur et le coryphée s’adressent au public pour vanter la comédie qui s’offre à eux et pour plaider la cause d’Aristophane, le poète, dans le concours dramatique. De son côté, Sokratès se voit consterné par la stupidité de Strepsiadès qui, couché sur une paillasse, n’arrive pas à se concentrer sur les questions de son maître en raison des punaises. Sokratès finit par le renvoyer de son école. Les Nuées conseille au paysan d’envoyer son fils à sa place.
Par ses menaces, Strepsiadès oblige son fils Phidippidès à intégrer le Philosophoir pour y suivre l’enseignement de Sokratès. Le fils jure de se venger de son père. À l’école, Sokratès lui introduit les deux Raisonnements, le Juste et l’Injuste, qui se disputent à qui revient l’instruction du jeune homme. À l’issue d’un affrontement oratoire (agôn logôn) dans lequel chaque Raisonnement plaide sa cause, le Juste s’avoue vaincu par la rhétorique de l’Injuste. Ce dernier entre dans la maison de Sokratès pour prendre en charge l’éducation de Phidippidès.
Quelques jours plus tard, Strepsiadès revient chercher son fils Phidippidès chez Sokratès. Peu de temps après, les créanciers de Strepsiadès reviennent lui demander leurs dus. Le paysan, persuadé que son fils saura le défendre en justice, se moque du premier, Pasias, qui repart furieux, et roue de coups le deuxième, Amynias.
Le chœur annonce le malheur qui ne tarde à s’abattre sur le vieux paysan. Strepsiadès sort de sa maison en appelant au secours, poursuivi par Phidippidès qui lui inflige des coups de bâton. Ce dernier lui prouve, à l’aide du Raisonnement Injuste, qu’il est logique pour un fils de battre son père. Il le démontre à l’aide de la logique selon laquelle 1) si un père bat son enfant pour son propre bien, 2) alors « frapper » et « avoir une bonne intention » s’équivalent, donc 3) il est normal qu’un fils frappe son père pour son bien. Il indique qu’il a également l’intention de battre sa mère avant de quitter.
Désespéré, Strepsiadès se plaint au Dieu d’Hermès de sa situation. Finalement, il décide de mettre le feu au Philosophoir, avec Sokratès et ses disciples à l’intérieur.
La parole sophistique contre la parole philosophique
Les sophistes ont une grande place dans la philosophie. Nous pouvons poser deux technai de la parole, faire agir, c’est la parole sophistique, la tecknè du logos des sophistes, faire faire ce que l’on veut des autres par la persuasion, et donner à voir, c’est dans ce cas de figure, la parole philosophique qui consiste à tourner l’œil de l’âme vers ce qui est à voir. La sophistique grecque relève de l’éristique grec, c’est une manipulation des hommes par les mots dans le sens d’un retournement qui suppose une persuasion. Ils prétendent combler les carences de l’éducation des jeunes grecs, parfaire l’éducation des jeunes patrides issus de familles bien nées. Ils prenaient la parole dans l’agora et jouaient un rôle dans la cité très important. Les jeunes y voyaient une grande techknè.
La sophistique, une ruse de la raison
Ils sont très grecs au sens d’Ulysse et des héros. Le mensonge, la ruse de la raison sont le propre des sophistes; Platon dit d’eux qu’ils se plaisent à vendre « des nourritures pour l’âme », des nourritures qu’on achète comme on achète au marché des nourritures pour le corps. Plus l’idée est payée chère, plus prétendaient ils, elle est riche et profonde de contenu. la République défend la thèse selon laquelle, l’éducation, paideia ne consiste pas à mettre les sciences dans la tête des hommes comme des choses dans une boîte pour remplir un contenant vide. Le meilleur n’est pas celui qui est rempli de plus de marchandises.
La tête la plus remplie n’est pas la mieux formée, on retrouve cette notion chez Descartes, Montaigne, Rabelais, le rapport n’est pas quantitatif mais plutôt qualitatif; La paideia n’est pas la polytechnie, la quantité des choses apprises, ceci est devenu un leitmotiv dans la philosophie platonicienne, il s’insurge contre la polytechnique et la passion sophistique de la parole, la parole pour la parole. Le logos, discours, est un maître puissant qui peut être dangereux, il renvoie à l’art avec lequel on expose nos connaissances plutôt que nos connaissances en soi. Le logos sophistique s’empare des jeunes qui ne peuvent plus s’en passer, qui sont contaminés et qui en font la base d’une éducation. C’est contre cette pseudo -éducation que Platon se bat dans la majorité de ses 32 dialogues. La tecknè est un savoir faire qui peut être dangereux s’il est utilisé à mauvais escient, c’est une direction de l’esprit sur les choses, nous pouvons dire que les sophistes ne sont pas traditionnels par leur pragmatique, c’est-à-dire, par la finalité de leurs discours, leur utilité dans la vie pratique, ils sont traditionnels car ils font valoir la ruse, en ce sens, nous pouvons affirmer qu’ils sont grecs.
La référence à Ulysse
Ulysse incarne par excellence la ruse, il est sophos en ce sens là, sophiste, donc habile, triomphant, il excelle dans l’invention du moyen, cela nous tourne vers la technique de l’homme sur la nature, phusis. Ulysse est celui qui se sort de toutes les situations, il est l’intelligence en soi, l’intelligence pratique, il se sort de toutes les situations car il a le savoir faire, la tecknè, les techniques de la capture au niveau de l’intelligence pratique tandis que Platon capture les essences. Nous avons donc l’image d’une supériorité dominante, écrasante chez l’homme par rapport à l’animal qu’il tue pour la nourriture ou qu’il domestique; Dans la manière d’attraper l’animal, il y a l’idée de piège que l’homme par la pensée a inventé; La force de la pensée permet à l’homme de remédier à la faiblesse de ses forces, l’homme parmi les vivants, est le plus démuni, sans organon. La tecknè est l’invention de l’organon, le moyen de s’en sortir qui permet la réussite selon que l’on agit d’après le kairos, le bon moment. Si l’homme n’était pas naturellement faible, il ne deviendrait pas extraordinairement fort par le moyen de la tecknè. Nous avons donc une supériorité de la technique, incarnée par Ulysse, l’homme de toutes les situations. Il nous faut donc reconnaître la supériorité de la technique, on revient donc à quelque chose de purement humain, la façon dont la parole dirige, l’homme est alors la mesure de ce dont il faut usage. Il faut, pouvons nous lire dans le Protagoras, poser les choses dans leur relation à la manière dont on en fait usage. La chrématistique est le terme utilisé par Platon pour figurer ce rapport, c’est la question des richesses de l’homme inséparables de l’usage du mot. L’ousia signifie l’avoir et l’être, la richesse interne, l’allusion est ontologique.
La philosophie des valeurs et la question des choses
Il semble donc que la philosophie des valeurs soit inséparable de la question des choses, l’art métrétique, l’art de donner sa mesure ou sa norme à toute chose est un bien commun à toute la pensée grecque, en particulier aux sophistes. Il s’agit d’une philosophie des valeurs humanistes et d’une norme extérieure à l’homme. Il n’y a rien d’absolu dans la conception que les grecs font des valeurs; L’absolu est dans la phusis, la nature, donc ce qui est extérieur à l’homme. Il faut faire ce qu’il convient de faire, ce qui est à propos selon le kairos, et non ce qui doit être fait, bien agir est toujours selon la conception grecque agir selon le kairos. Toutes les autres valeurs, politiques, morales, religieuses ne sont que des créations humaines. L’acte dit Kalon, fait selon le kairos, est l’acte qu’il est bon de faire, cela revêt le sens de la beauté, de l’acte non pas au niveau esthétique mais au niveau éthique; Nous avons donc une identité du kalos et du bien éthique, nous retrouvons cette idée dans le Banquet de Platon. Il faut par conséquent toujours accorder la praxis, l’agir, au kairos, le moment opportun, l’éthique du kairos est commune à tous les grecs.
Conclusion
Le philosophe ne peut pas ignorer le sophiste. Nous conclurons notre étude sur une citation d’Aristote : « ce qui différencie le philosophe du sophiste est moins la nature même des problèmes que l’invention avec laquelle ils sont abordés. Il y a une intention de vérité d’un côté et la recherche d’un profit de l’autre. Cette considération ne rend la sophistique que plus redoutable. C’est leur indifférence à l’égard de la vérité qui a fait des sophistes les fondateurs de la dialectique au sens d’un art qui s’enseigne à rendre vraisemblable le pour et le contre sur un même problème; Leur indifférence fait qu’ils ont fait porter tous leurs efforts sur l’efficacité du discours en en faisant une arme incomparable pour transmuer le vrai, le faux en vraisemblable Le propre des thèses sophistiques est de se faire passer pour des philosophes, et c’est pour cette raison que le philosophe ne peut ignorer le sophiste.
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Date de dernière mise à jour : 01/08/2023
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