HLP 2024, terminale 1er semestre. La recherche de soi : Enjeu de contestation : les inégalités hommes femmes - Autre enjeu, les inégalités sociales
Montesquieu, Rousseau, Laclos, Voltaire. Emancipation de la femme au travers de l’histoire de l’Homme. Enjeu de contestation les inégalités hommes, femmes du XVIIIe au XXe
Recherche de soi
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Éducation, transmission, émancipation
L’époque des Lumières a marqué une double rupture avec les modèles d’éducation hérités de l’humanisme de la Renaissance. Pour un grand nombre d’auteurs, l’apprentissage des choses doit désormais primer la culture des mots, et l’éducation se centrer sur l’utile (pratique et social). Une nouvelle attention est portée aux manières de penser des enfants et au langage à tenir avec eux. Sur ces questions, les idées pédagogiques de Rousseau (Émile ou de l’éducation, 1762) ont essaimé jusqu’au milieu du XXe siècle avec les mouvements dits d’éducation nouvelle.
Dans le même temps, l’idée s’impose qu’une nation moderne doit se préoccuper de la formation des individus et par conséquent se doter d’un véritable système d’éducation publique. Dans la lignée de Condorcet, l’instruction des enfants des deux sexes devient la clé de la démocratie et des libertés. Les penseurs révolutionnaires mettent quant à eux l’accent sur les conditions sociales et politiques de l’émancipation des individus. En Europe comme en Amérique, le tournant du XXe siècle est le moment d’un vaste débat sur les finalités de l’éducation scolaire, ses méthodes et son extension.
Le rôle nouveau de l’institution scolaire se marque par la place que prennent dans les récits du XIXe siècle les souvenirs d’écoliers, qu’ils soient romancés ou autobiographiques. Il s’agit toujours de comprendre ce qu’un individu est devenu à partir de ce qu’il a reçu, mais aussi de ce avec quoi il a rompu.
Les textes de cette période fournissent matière à réflexion, par exemple, sur les différents âges de la vie et ce que veut dire être adulte ; les formes de l’enseignement et celles de l’apprentissage ; les parts respectives de la famille, de l’école et de la société dans l’éducation ; l’aspiration à la liberté dans ses rapports avec les institutions et les traditions. À l’horizon de ces interrogations se trouvent la définition d’une éducation moderne et la question de la justice sociale et de l’équité au sein d’un système éducatif.
OBJECTIFS ET ENJEUX – Entrer dans un univers oriental – Lire une lettre d’adieu – Lire le manifeste d’une femme qui s’est libérée
Lecture de la lettre XCXI
Oui, je t'ai trompé; j'ai séduit tes eunuques; je me suis jouée de ta jalousie; et j'ai su de ton affreux sérail faire un lieu de délices et de plaisirs.
Je vais mourir; le poison va couler dans mes veines: car que ferais-je ici, puisque le seul homme qui me retenait à la vie n'est plus? Je meurs; mais mon ombre s'envole bien accompagnée: je viens d'envoyer devant moi ces gardiens sacrilèges, qui ont répandu le plus beau sang du monde.
Comment as-tu pensé que je fusse assez crédule, pour m'imaginer que je ne fusse dans le monde que pour adorer tes caprices? que, pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d'affliger tous mes désirs? Non: j'ai pu vivre dans la servitude; mais j'ai toujours été libre: j'ai réformé tes lois sur celles de la nature; et mon esprit s'est toujours tenu dans l'indépendance.
Tu devrais me rendre grâces encore du sacrifice que je t'ai fait; de ce que je me suis abaissée jusqu'à te paraître fidèle; de ce que j'ai lâchement gardé dans mon coeur ce que j'aurais dû faire paraître à toute la terre; enfin de ce que j'ai profané la vertu en souffrant qu'on appelât de ce nom ma soumission à tes fantaisies.
Tu étais étonné de ne point trouver en moi les transports de l'amour: si tu m'avais bien connue, tu y aurais trouvé toute la violence de la haine.
Mais tu as eu longtemps l'avantage de croire qu'un coeur comme le mien t'était soumis. Nous étions tous deux heureux; tu me croyais trompée, et je te trompais.
Ce langage, sans doute, te paraît nouveau. Serait-il possible qu'après t'avoir accablé de douleurs, je te forçasse encore d'admirer mon courage? Mais c'en est fait, le poison me consume, ma force m'abandonne; la plume me tombe des mains; je sens affaiblir jusqu'à ma haine; je me meurs.
Roxanne s’adresse dans cette lettre pour la dernière fois à son époux le sultan : elle revendique "les délices et plaisirs". Elle exprime ses reproches et son mépris dont elle accable le sultan. « J’ai lâchement gardé dans mon cœur ce que j’aurais dû faire paraître à toute la terre. » . Elle lui reproche aussi son complexe de supériorité, sa prétention à la supériorité au point de l'avoir maintenue dans la servitude : « pendant que tu te permets tout, tu eusses le droit d’affliger tous mes désirs. ».
Les reproches de Roxane se doublent d’une revendication, celle d’être libre comme la nature a fait tous les hommes. « J’ai toujours été libre ». Elle revendique son statut fondé sur le droit naturel. « J’ai réformé tes lois sur celles de la nature, et mon esprit s’est toujours tenu dans l’indépendance ».
Captive, Roxane se révolte contre un ordre contre-nature qui maintient la femme en servitude, ses aveux sont provocateurs, elle revendique son infidélité, sa dissimulation et ses meurtres tout en restant dignes d'admiration : « serait-il possible qu’après t’avoir accablé de douleurs, je te forçasse encore d’admirer mon courage ? ». Elle incarne une figure de liberté et reste solidaire de ses pensées en acte. Elle revendique tous ses actes au risque d'en payer de sa vie par la mort.
Montesquieu, Lettres persanes, Lettre CLXI, commentaire littéraire et étude linéaire syntaxique
Montesquieu, Lettres persanes, Lettre CLXI, commentaire littéraire et étude linéaire syntaxique-Explication de la lettre pour l''écrit de l'EAF 2024 séries générales et étude linéaire grammaticale pour l'oral du bac de français : Littérature d'idées- / parcours : Le regard éloigné
- Pour aller plus, vous pouvez travailler
- le questionnaire sur le siècle des lumières
- Le questionnaire sur Montesquieu et les Lettres Persanes
- Etude de l'opuscule kantien : qu'est-ce que les lumières?
– Étudier la question de la femme au travers de l’histoire de l’Homme. – Étudier un enjeu de contestation : l’inégalité entre hommes et femmes.
– Choderlos de Laclos, Des femmes et de leur éducation (1783)
OBJECTIFS ET ENJEUX
"De l'éducation des femmes" : extraits
Venez apprendre comment, nées compagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel; comment enfin, dégradées de plus en plus par votre longue habitude de l’esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants, mais commodes, aux vertus plus pénibles d’un être libre et respectable. (…)
Ne vous laissez plus abuser par de trompeuses promesses, n’attendez point les secours des hommes auteurs de vos maux: ils n’ont ni la volonté, ni la puissance de les finir, et comment pourraient-ils vouloir former des femmes devant lesquelles ils seraient forcés de rougir; apprenez qu’on ne sort de l’esclavage que par une grande révolution. Cette révolution est-elle possible? C’est à vous seules à le dire puisqu’elle dépend de votre courage en elle vraisemblable.
Toute convention, faite entre deux sujets inégaux en force, ne produit, ne peut produire qu’un tyran et un esclave, il suit encore de là que dans l’union sociale des deux sexes, les femmes généralement plus faibles ont dû être généralement opprimées; ici les faits viennent à l’appui des raisonnements. Parcourez l’univers connu, vous trouverez l’homme fort et tyran, la femme faible et esclave (…)
Quand on parcourt l’histoire des différents peuples et qu’on examine les lois et les usages promulgués et établis à l’égard des femmes, on est tenté de croire qu’elles n’ont que cédé, et non pas consenti au contrat social, qu’elles ont été primitivement subjuguées, et que l’homme a sur elle un droit de conquête dont il use rigoureusement. (…) ils sentirent bientôt le besoin qu’ils avaient des femmes; ils s’occupèrent donc à les contraindre, ou à les persuader, de s’unir à eux. Soit force, soit persuasion, la première qui céda, forgea les chaînes de tout son sexe. (…); les hommes étendirent bientôt jusqu’à elles cette même idée de propriété qui venait de les séduire et de les rassembler; de cela seul qu’elles étaient à leur convenance et qu’ils avaient pu s’en saisir, ils en conclurent qu’elles leur appartenaient: telle fut en général l’origine du droit. Les femmes manquant de forces ne purent défendre et conserver leur existence civile; compagnes de nom, elles devinrent bientôt esclaves de fait, et esclaves malheureuses; leur sort ne dut guère être meilleur que celui des noirs de nos colonies. L’oppression et le mépris furent donc, et durent être généralement, le partage des femmes dans les sociétés naissantes.
Elles sentirent enfin que, puisqu’elles étaient plus faibles, leur unique ressource était de séduire; elles connurent que si elles étaient dépendantes de ces hommes par la force, ils pouvaient le devenir à elle par le plaisir. Plus malheureuses que les hommes, elles durent penser et réfléchir plutôt qu’eux.
Cet essai de Laclos propose, à la manière de Rousseau dans le Discours sur l’inégalité, une histoire possible de l’humanité de part son caractère hypothétique dans la revendication « on est tenté de croire », « nous croirions plutôt ».
Laclos s'engage à élaborer les étapes de la socialisation de l'homme = regroupements masculins, communautés mixtes « ils sentirent bientôt le besoin qu’ils avaient des femmes » - « cette communauté de travaux et de fruits » avec une liberté de moeurs « toutes étaient à tous ».
Puis la question de l'aliénation de la femme est abordée avec la naissance de la propriété : « les hommes étendirent bientôt jusqu’à elles cette même idée de propriété ». On peut noter la reconstitution fictive de l'histoire de l'humanité, à ce niveau, le raisonnement hypothétique et le glissement vers le récit au sens d'une réalité historique.
Laclos dénonce les rapports hommes / femmes qui ne reposent pas sur un principe d'égalité, d'approbation des deux partis. « elles n’ont que cédé et non pas consenti au contrat social ». Ce contrat, ce pacte n'est pas juste car il y a domination des hommes sur les femmes « la loi du plus fort » . Le champ lexical reflète également le fondement abusif de l'inégalité des sexes « subjuguées », « conquête », « contrainte », « force », « contraindre ». Les femmes sont assimilées à des esclaves ainsi que le suggère le vocabulaire de la soumission « subjuguées », « chaînes », « assujetties ». Cette idée est encore transcrite par l'antithèse « compagnes de nom, elles devinrent bientôt esclaves de fait ».
? La réflexion sur les femmes chez Laclos
Cet essai de Laclos a été rédigé un an après son roman épistolaire, et son chef-d’œuvre, Les Liaisons dangereuses (1783). L’œuvre témoigne dans son ensemble de la continuité des préoccupations de Laclos. On peut établir des liens entre les deux textes : la critique de la corruption féminine au travers de la figure de la libertine du roman aboutit à une critique de la société en général qui pervertit les femmes par l’éducation. Cela conduit ensuite Laclos dans son essai à étudier les étapes de la dénaturation de la femme, effet de la socialisation. La libertine du xviiie siècle, qui assoit son pouvoir grâce à la coquetterie et la séduction s’oppose complètement à « la femme naturelle », définie par Laclos comme « un être libre et puissant » et aussi « heureux » dans le chapitre II de cet essai.
? Confrontation de textes
On comparera utilement les textes de Laclos et de Voltaire, qui posent le même problème de la soumission des femmes aux hommes.
- comparer les démarches utilisées, pour montrer laquelle est la plus efficace : d’un côté un dialogue philosophique, de l’autre un essai ; un texte mettant en scène un choc de personnes contre une argumentation vraisemblable.
Commentaire littéraire, Les Liaisons dangereuses, Laclos, lettre 81, première partie, série L-La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont.
Commentaire littéraire, Les Liaisons dangereuses, Laclos, lettre 81 -La Marquise de Merteuil au Vicomte de Valmont. En quoi la marquise de Merteuil est-elle une femme différentes des femmes de son époque? La marquise de Merteuil n'accepte pas le rôle dévolu aux femmes du XVIIIème siècle.
Questionnaire pour l'EAF sur la lettre 81, première partie, Laclos, Les Liaisons dangereuses
Questionnaire pour l'EAF sur la lettre 81, première partie, Laclos, Les Liaisons dangereuses - Problèmatique : En quoi la marquise de Merteuil est-elle différente des femmes de son époque ?
Femmes , soyez soumises à vos maris ! Voltaire Quelles revendications ce texte porte-t-il et comment Voltaire les défend-il ?
Femmes , soyez soumises à vos maris ! Voltaire
Quelles revendications ce texte porte-t-il et comment Voltaire les défend-il ?
L’abbé de Châteauneuf la rencontra un jour toute rouge de colère. « Qu’avez-vous donc, madame ? »lui dit-il.
— J’ai ouvert par hasard, répondit-elle, un livre qui traînait dans mon cabinet ; c’est, je crois, quelque recueil de lettres ; j’y ai vu ces paroles : Femmes, soyez soumises à vos maris ; j’ai jeté le livre.
— Comment, madame ! Savez-vous bien que ce sont les Épîtres de saint Paul ?
— Il ne m’importe de qui elles sont ; l’auteur est très impoli. Jamais Monsieur le maréchal ne m’a écrit dans ce style ; je suis persuadée que votre saint Paul était un homme très dif?cile à vivre. Était-il marié ?
— Oui, madame.
— Il fallait que sa femme fût une bien bonne créature : si j’avais été la femme d’un pareil homme, je lui aurais fait voir du pays. Soyez soumises à vos maris ! Encore s’il s’était contenté de dire : Soyez douces, complaisantes, attentives, économes , je dirais : voilà un homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises, s’il vous plaît ? Quand j’épousai M. de Grancey, nous nous promîmes d’être ?dèles : je n’ai pas trop gardé ma parole, ni lui la sienne ; mais ni lui ni moi ne promîmes d’obéir. Sommes-nous donc des esclaves ? N’est-ce pas assez qu’un homme, après m’avoir épousée, ait le droit de me donner une maladie de neuf mois, qui quelquefois est mortelle ? N’est-ce pas assez que je mette au jour avec de très grandes douleurs un enfant qui pourra me plaider quand il sera majeur ? Ne suf?t-il pas que je sois sujette tous les mois à des incommodités très désagréables pour une femme de qualité, et que, pour comble, la suppression d’une de ces douze maladies par an soit capable de me donner la mort sans qu’on vienne me dire encore : Obéissez ?
« Certainement la nature ne l’a pas dit ; elle nous a fait des organes différents de ceux des hommes ; mais en nous rendant nécessaires les uns aux autres, elle n’a pas prétendu que l’union formât un esclavage. Je me souviens bien que Molière a dit :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Mais voilà une plaisante raison pour que j’aie un maître ! Quoi ! Parce qu’un homme a le menton couvert d’un vilain poil rude, qu’il est obligé de tondre de fort près, et que mon menton est né rasé, il faudra que je lui obéisse très humblement ? Je sais bien qu’en général les hommes ont les muscles plus forts que les nôtres, et qu’ils peuvent donner un coup de poing mieux appliqué : j’ai peur que ce ne soit là l’origine de leur supériorité.
Ils prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se vantent d’être plus capables de gouverner ; mais je leur montrerai des reines qui valent bien des rois. On me parlait ces jours passés d’une princesse allemande qui se lève à cinq heures du matin pour travailler à rendre ses sujets heureux, qui dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres, encourage tous les arts, et qui répand autant de bienfaits qu’elle a de lumières. Son courage égale ses connaissances ; aussi n’a-t-elle pas été élevée dans un couvent par des imbéciles qui nous apprennent ce qu’il faut ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu’il faut apprendre. Pour moi, si j’avais un État à gouverner, je me sens capable d’oser suivre ce modèle. »
L’abbé de Châteauneuf, qui était fort poli, n’eut garde de contredire Mme la maréchale
Axes possibles pour un commentaire
- la Maréchale , un caractère bouillonnant , remise en question de la domination masculine dans le couple et dans la Société
- Voltaire , à travers la Maréchale , fait une critique des Institutions
-les valeurs des Lumières
– Étudier un autre enjeu de contestation au xviiie siècle : l’inégalité sociale. Les premiers regroupements humains, une étape intermédiaire avant la socialisation
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’inégalité (1755)
– Étudier un autre enjeu de contestation au xviiie siècle : l’inégalité sociale.
les premiers regroupements humains, une étape intermédiaire avant la socialisation - étape hypothétique dans une reconstruction historique imaginaire -
éloge : cet état sauvage est présenté à la fois comme un état d’équilibre, et de stabilité
Puis, il oppose au bonheur de l’homme primitif le malheur de l’homme socialisé - Ce bonheur à l'état de nature vient de la capacité de l’homme à limiter ses désirs
"Et ce fut là le premier joug qu'ils s'imposèrent sans y songer"
Plus l'esprit s'éclairait(...)l'innocence
Plus l'esprit s'éclairait, et plus l'industrie se perfectionna. Bientôt cessant de s'endormir sous le premier arbre, ou de se retirer dans des cavernes, on trouva quelques sortes de haches de pierres dures et tranchantes, qui servirent à couper du bois, creuser la terre et faire des huttes de branchages, qu'on s'avisa ensuite d'enduire d'argile et de boue. Ce fut là l'époque d'une première révolution qui forma l'établissement et la distinction des familles, et qui introduisit une sorte de propriété ; d'où peut-être naquirent déjà bien des querelles et des combats. Cependant comme les plus forts furent vraisemblablement les premiers à se faire des logements qu'ils se sentaient capables de défendre, il est à croire que les faibles trouvèrent plus court et plus sûr de les imiter que de tenter de les déloger ; et quant à ceux qui avaient déjà des cabanes, chacun dut peu chercher à s'approprier celle de son voisin, moins parce qu'elle ne lui appartenait pas que parce qu'elle lui était inutile et qu'il ne pouvait s'en emparer, sans s'exposer à un combat très vif avec la famille qui l'occupait.
Les premiers développements du cœur furent l'effet d'une situation nouvelle qui réunissait dans une habitation commune les maris et les femmes, les pères et les enfants ; l'habitude de vivre ensemble fit naître les plus doux sentiments qui soient connus des hommes, l'amour conjugal, et l'amour paternel. Chaque famille devint une petite société d'autant mieux unie que l'attachement réciproque et la liberté en étaient les seuls liens ; et ce fut alors que s'établit la première différence dans la manière de vivre des deux sexes, qui jusqu'ici n'en avaient eu qu'une. Les femmes devinrent plus sédentaires et s'accoutumèrent à garder la cabane et les enfants, tandis que l'homme allait chercher la subsistance commune. Les deux sexes commencèrent aussi par une vie un peu plus molle à perdre quelque chose de leur férocité et de leur vigueur : mais si chacun séparément devint moins propre à combattre les bêtes sauvages, en revanche il fut plus aisé de s'assembler pour leur résister en commun.
Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés, et les instruments qu'ils avaient inventés pour y pourvoir, les hommes jouissant d'un fort grand loisir l'employèrent à se procurer plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères ; et ce fut là le premier joug qu'ils s'imposèrent sans y songer, et la première source de maux qu'ils préparèrent à leurs descendants ; car outre qu'ils continuèrent ainsi à s'amollir le corps et l'esprit, ces commodités ayant par l'habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérées en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n'en était douce, et l'on était malheureux de les perdre, sans être heureux de les posséder.
On entrevoit un peu mieux ici comment l'usage de la parole s'établit ou se perfectionne insensiblement dans le sein de chaque famille, et l'on peut conjecturer encore comment diverses causes particulières purent étendre le langage, et en accélérer le progrès en le rendant plus nécessaire. De grandes inondations ou des tremblements de terre environnèrent d'eaux ou de précipices des cantons habités, des révolutions du globe détachèrent et coupèrent en îles des portions du continent. On conçoit qu'entre des hommes ainsi rapprochés et forcés de vivre ensemble, il dut se former un idiome commun plutôt qu'entre ceux qui erraient librement dans les forêts de la terre ferme. Ainsi il est très possible qu'après leurs premiers essais de navigation, des insulaires aient porté parmi nous l'usage de la parole ; et il est au moins très vraisemblable que la société et les langues ont pris naissance dans les îles et s'y sont perfectionnées avant que d'être connues dans le continent.
Tout commence à changer de face. Les hommes errants jusqu'ici dans les bois, ayant pris une assiette plus fixe, se rapprochent lentement, se réunissent en diverses troupes, et forment enfin dans chaque contrée une nation particulière, unie de mœurs et de caractères, non par des règlements et des lois, mais par le même genre de vie et d'aliments, et par l'influence commune du climat. Un voisinage permanent ne peut manquer d'engendrer enfin quelque liaison entre diverses familles. De jeunes gens de différents sexes habitent des cabanes voisines, le commerce passager que demande la nature en amène bientôt un autre non moins doux et plus permanent par la fréquentation mutuelle. On s'accoutume à considérer différents objets et à faire des comparaisons ; on acquiert insensiblement des idées de mérite et de beauté qui produisent des sentiments de préférence. A force de se voir, on ne peut plus se passer de se voir encore. Un sentiment tendre et doux s'insinue dans l'âme, et par la moindre opposition devient une fureur impétueuse : la jalousie s'éveille avec l'amour ; la discorde triomphe et la plus douce des passions reçoit des sacrifices de sang humain.
A mesure que les idées et les sentiments se succèdent, que l'esprit et le cœur s'exercent, le genre humain continue à s'apprivoiser, les liaisons s'étendent et les liens se resserrent. On s'accoutuma à s'assembler devant les cabanes ou autour d'un grand arbre : le chant et la danse, vrais enfants de l'amour et du loisir, devinrent l'amusement ou plutôt l'occupation des hommes et des femmes oisifs et attroupés. Chacun commença à regarder les autres et à vouloir être regardé soi-même, et l'estime publique eut un prix. Celui qui chantait ou dansait le mieux ; le plus beau, le plus fort, le plus adroit ou le plus éloquent devint le plus considéré, et ce fut là le premier pas vers l'inégalité, et vers le vice en même temps : de ces premières préférences naquirent d'un côté la vanité et le mépris, de l'autre la honte et l'envie ; et la fermentation causée par ces nouveaux levains produisit enfin des composés funestes au bonheur et à l'innocence.
Rousseau: Homme de lettres et philosophe encyclopédiste du siècle des lumières. Il est contemporain de d'Alembert, Diderot, Montesquieu, Voltaire.
Il est l'auteur du Contrat social, œuvre philosophique majeure, les Rêveries du promeneur solitaire, les Confessions.
En 1750 , Rousseau avait écrit le Discours sur les sciences et les arts et avait posé quelques questions demeurées sans réponses. L'idée d'une paradoxale dégradation de l'être humain sous l'effet du progrès laissait dans l'ombre la notion d'état de nature , état antérieur à la formation des groupes sociaux organisés et caractérisés par une sorte de bonté primitive .
Rousseau , comme un véritable anthropologue y revient dans ce second Discours
A l'origine de ce dernier , c'est une question de concours proposée par l"Académie de Dijon en 1753 à laquelle Rousseau entreprend de répondre en 1754. Voltaire réagira violemment contre ce livre publié d'abord à Amsterdam en 1755.
Cet extrait constitue la 2nde partie du discours et souligne le stade de la première construction des 1ères huttes qui instaure une organisation familiale , avec comme corollaire , les 1ères disputes. Son originalité tient à l'alternance des tons et à la passion qui anime son auteur.
1)Les différentes étapes du Discours
Les paragraphes successifs sont consacrés à l'étude des transformations matérielles, affectives et sociales des 1ers hommes
1ère étape: paragraphe 1 et 2 : progrès de l'ingéniosité humaine , travail du bois , élaboration des huttes
La construction de ces huttes est montrée dans ses propres étapes d'évolution: la hutte initiale , très primitive ( bois/branchages) puis son perfectionnement : argile et boue .
Rousseau souligne ici les progrès de l'habitat qui entraîneront des progrès sur le plan social : début de l'installation familiale. : relation de cause à effet
Au second paragraphe : les modifications des relations familiales sous l'effet d'une réunification , sous le même toi - La famille devient une cellule ("petite société" ) unie par des liens affectifs.
2nde étape: paragraphe 3: découverte d'une forme de confort.Les biens matériels rendent la vie +agréable+facile -Le lien entre les thèmes du paragraphe 2 et du 3 figure dans l'expression : "dans ce nouvel état et marque le passage de la vie rude à une vie plus douce.
3ème :paragraphe 4: développement du langage Rousseau analyse ce qui a favorisé le développement des communications orales entre les hommes , ce sont des modifications géographiques.
4ème étape:paragraphe 5: les communautés sociales et non plus familiales regroupées par suite d’éléments commun d’ordre naturel.
Ce qui relie le paragraphe 4 et le 5 est une liaison temporelle:"jusqu'ici"
5ème étape:paragraphe 6: développement des loisirs , des créations artistiques mais aussi des compétitions et des rivalités
L'expression temporelle " à mesure que" permet de lier le paragraphe 5 au 6 en marquant tout un jeu d'évolutions simultanées et parallèles.
Rousseau souligne ainsi de manière efficace ,telle que le ferait un anthropologue, la socialisation progressive et l'amélioration des conditions de vie. Progressivement, ce qui caractérisait l'homme primitif(isolé, sans langage mais apte à se défendre contre les dangers naturels) disparaît.
2)La notion de progrès et d'évolution
D'un paragraphe à l'autre ces notions sont rendues par diverses formulations.
Ainsi:
- Comparatifs et superlatifs de supériorité suggérant une modification positive
- Lexique soulignant le début , la transformation , l'amélioration ( champ lexical du commencement):ce "perfectionna" , "première révolution" ,forma", "naquirent", "engendrer" ,"introduisit","nouvelle"
Ces procédés traduisent une modifications des conditions de vie , de la communication avec un passage de la mobilité à la sédentarité , de l'isolement d'un groupe .
Les progrès sont visibles par :
- Les modifications de l'habitat ( paragraphe 1)
- L’amélioration du confort( paragraphe 3)
- Le développement des communications inter-humaines: création de groupes,apprentissage progressif de la vie culturelle et de la vie sociale
Ces progrès se situent donc sur des plans différents mais étroitement associés: les transformations de la vie matérielle ont entraîné celles de la vie affective et la création des arts , ce qui a modifié les relations humaines.
Mais tout n'est pas élogieux dans cette évolution telle que l'analyse Rousseau.
Il s'attache en effet à montrer que les différentes formes de transformation et d'évolution sont aussi génératrices de nuisances, de dangers et de déchéance.La naissance de l'inégalité est une idée récurrente.Au premier paragraphe, elle apparaît avec l'idée de propriété
L'association" inégalité/vice" insiste sur les conséquences morales d'une évolution qui conduit à l'inégalité et au vice . On voit que le confort entraîne des jalousies , que les qualités physiques s'appauvrissent .On note ainsi la présence de terme dépreciatifs qui soulignent efficacement le point de vue ici de Rousseau:"joug/maux/s’amollir/dégénérer".
Conclusion
La conséquence du progrès et de l'évolution n'est pas que positive.
Dans son discours sur l'origine de l'inégalité, Rousseau, dans une démarche proche de l'anthropologie, énonce les différentes étapes qui ont conduit à d'avantage de confort et à une amélioration des relations entre les hommes.
Mais il souligne aussi la déchéance morale, la naissance des vices par l'oisiveté , la vanité et le plaisir de se sentir supérieur aux autres.
L'évolution pour Rousseau met fin à l'état de nature , caractérisé par le bonheur et l'innocence.
On comprend que Voltaire, défenseur convaincu des valeurs positives du progrès ait réagi violemment avec une ironie moqueuse contre ce discours.
Questions sur le commentaire en fonction des axes d'étude:
*** Réponses dans le commentaire
Questions sur l'introduction:
Dans quel ouvrage Rousseau avait-il déjà abordé les questions relatives à la dégradation de l'être humain sous l'effet du progrès?
Définitions: recherches personnelles
L’État de nature: Définitions - Quelles sont ses caractéristiques?
L’État civilisé: Définitions - Quelles sont ses caractéristiques?
La notion «d’État de nature» était -elle dans un premier temps abordée dans le Discours sur les sciences et les art?
Quel regard Rousseau à t'-il dans ce Discours?
Quelle en est l'origine?
Quelle est la position de Voltaire?
De quelle partie du Discours cet extrait est-il tiré?
Que met-il en avant?De quoi est-il question?
A quoi l'originalité du passage tient-elle?
Problématique: En quoi ce discours est-il efficace?
Plan de l'étude:
I – Les différentes étapes du discours
II – La notion de progrès et l'évolution
Questions sur le développement dans le respect du plan:
I -
De quel ordre les transformations étudiées sont-elles?
1er et 2ème paragraphes:
A quoi se rapporte l'ingéniosité de l'homme?
Comment la construction d'une hutte est-elle décrite et dévoilée? Citez le texte pour justifier votre réponse
Qu'entraînent les progrès de l'habitat?
Quelle relation de cause à effet avons-nous pour justifier des progrès au plan social?
Quelle est l'image donnée de la famille?
A quelles modifications celle-ci est-elle associée?
3ème paragraphe:
A quoi le confort tient-il?
Quelle expression reflète le passage et le lien entre le deuxième et le troisième paragraphes?
4ème paragraphe:
A quoi le développement du langage tient-il?
A quoi est-il lié?
5ème paragraphe:
Comment les paragraphes 4 et 5 sont-ils reliés?
Relevez la liaison temporelle
6ème paragraphe:
De quoi s'agit-il dans le sixième paragraphe?
Quelle évolution marque t'-il?
Quelle expression temporelle permet de relier le paragraphe 5 au paragraphe 6?
Selon vous le regard de Rousseau est-il celui d'un anthropologue?
Ce passage rend t'-il compte de la socialisation progressive et de l'amélioration des conditions de vie?
II -
Relevez les comparatifs et superlatifs de supériorité suggérant une modification positive
Relevez le champ lexical du commencement
Montrez que les progrès sont visibles à trois niveaux
Citez pour justifier votre réponse
Le progrès n'a t'il que du bon?
La sortie de l’État de nature pour un État civilisé n'est-il que positif et synonyme de perfection?
Quels sont les points fables des transformations et évolutions mentionnées dans le texte
La sortie de l’État de nature est-elle à l'origine de la naissance des inégalités entre les hommes?
L'inégalité est-elle une idée récurrente?
Est-elle associée à la notion de propriété?
Expliquez et justifiez votre réponse en citant
L'inégalité est-elle associée aux vices de l'homme?
La nature humaine est-elle en cause?
Comment la jalousie est-elle perçue par Rousseau?
De quoi est-elle responsable?
Relevez les expressions dépréciatives qui reflètent le point de vue de Rousseau
Questions sur la conclusion:
La conséquence du progrès et de l'évolution est-elle positive?
Faire un bilan des points forts et des points faibles mis en avant dans ce passage
La nature humaine est-elle mise en cause?
Quels sont tous les vices mis en avant et à l'origine de la déchéance morale et de la détérioration des rapports entre les hommes?
Énumérez les vices auxquels Rousseau fait allusion
Quelle sera la réaction de Voltaire? Pourquoi?
Bilan, ouverture
État de nature: état d'innocence et bonheur
État civilisé: Évolution, progrès, propriété, jalousie
État de nature: état de paix
État civilisé: état de guerre
Citation: «L 'homme est bon naturellement, c'est la société qui le corrompt» Rousseau
Cet extrait justifie la citation de Rousseau et invite à la réflexion philosophique sur un dépassement possible de l’État de nature sans sombrer dans l'état de guerre. La réponse sera donnée dans le contrat social
Par opposition, Aristote pense que «l'homme est un animal politique»: naturellement social.
Maîtres et valets dans la comédie du XVIIIème siècle. Le mariage de Figaro, Beaumarchais. Une critique des privilèges et un combat pour les inégalités sociales
Citations à retenir
Le Mariage de Figaro Beaumarchais
« Sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur, il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. »
" Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !… noblesse, fortune, un rang, des places ; tout cela rend si fier ! Qu’avez-vous fait pour tant de biens ! vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m’a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu’on n’en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes ; et vous voulez jouter… ".
Le monologue
Figaro, seul, se promenant dans l'obscurité, dit du ton le plus sombre :
"O femme! femme! femme! créature faible et décevante!... nul animal créé ne peut manquer à son instinct: le tien est-il donc de tromper?... Après m'avoir obstinément refusé quand je l'en pressais devant sa maîtresse; à l'instant qu'elle me donne sa parole, au milieu même de la cérémonie... Il riait en lisant, le perfide! et moi comme un benêt... Non, monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas... vous ne l'aurez pas. Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie!... Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier! Qu'avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire; tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes: et vous voulez jouter... On vient... c'est elle... ce n'est personne. - La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari quoique je ne le sois qu'à moitié! (Il s'assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ! Fils de je ne sais pas qui ; volé par des bandits, élevé dans leurs moeurs, je m'en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d'un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire..."
"à l'instant qu'elle" : à l'instant où elle
"au milieu même de la cérémonie" : il s'agit de la cérémonie de fiançailles entre Suzanne et Figaro.
"un benêt" : un sot, un nigaud
"et vous voulez jouter" : rivaliser, lutter (joute : combat à cheval d'homme à homme avec la lance)
"lancette" : instrument de chirurgie pour pratiquer la saignée
(Le mariage de Figaro, acte V, scène 3)
le Mariage de Figaro : Beaumarchais, V, 3, analyse littéraire du monologue et de sa critique virulente de la société du XVIIIe, EAF 2020
le Mariage de Figaro : Beaumarchais, V, 3, analyse littéraire du monologue et de sa critique virulente de la société du XVIIIe, EAF 2020 -Programme bac de français 2020 Objet d'étude : Le théâtre -Beaumarchais, "Le Mariage de Figaro" / parcours : La comédie du valet. Maîtres et valets dans la comédie.
A consulter également Beaumarchais, le mariage de Figaro III, 16?
Un texte polémique, ce qui explique la censure
Le réquisitoire de Marceline contre les hommes et une société discriminatoire.
Le plaidoyer pour les femmes :
Un texte audacieux et engagé.
Annales zéro 2002, corrigé académique, corpus Beaumarchais, le mariage de Figaro III, 16, Marivaux, la Colonie scène 13
Annales zéro 2002, corrigé académique, corpus Beaumarchais, le mariage de Figaro III, 16, Marivaux, la Colonie scène 13- Un texte qui relève du genre de la comédie La comédie est définie par les personnages, les questions en jeu, les registres. Un texte polémique, ce qui explique la censure.
Littérature et émancipation féminine - Revendications féministes
Littérature et émancipation féminine
Si la littérature représente parfois jusqu’à l’exhibition grinçante les conventions de la relation hommefemme, elle est aussi le lieu de leur renversement et de leur recréation. La figure même de l’héroïne suggère une possible victoire de la femme dans le champ littéraire. Rimbaud dans sa lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 se fait prophète de la condition féminine : « Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme, — jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! ». Ainsi se rêve, chez les écrivains, une voix féminine puissante et une égalité des poètes en écho à une égalité des sexes. La fiction met volontiers en scène des femmes guerrières qui réclament une égalité des sexes et rivalisent avec les hommes. C’est d’ailleurs un lieu commun de la comédie, miroir social par excellence, et ce depuis l’Antiquité : Lysistrata d’Aristophane est à cet égard un modèle de la guerre des sexes. Les femmes savantes de Molière réclament, elles, des droits intellectuels, comme Agnès dans L’Ecole des femmes qui déplore son ignorance. Marivaux, dans La Dispute, semble pour sa part se plaire à rejouer l’éternel conflit entre l’homme et la femme et à interroger, selon une pseudo méthode expérimentale, la responsabilité de chacun des sexes en matière d’inconstance. La pièce (notamment mise en scène par Chéreau en 1973 et par Stanislas Nordey en 1987 et 1997) est l’occasion d’une réflexion profonde et riche sur l’inné et l’acquis au sein des genres. La voix féminine s’exprime aussi hors de la comédie et dans des accents souvent plus sérieux, le poème « Les mains de Jeanne-Marie » de Rimbaud choisit de mettre en scène une combattante, en l’occurrence une communarde, une pétroleuse, qui réécrit au féminin maints récits épiques de démonstration de force. De même, Sabine face à Horace est une force qui va et qui anticipe sur la virago que sera Mathilde de la Môle. Le roman a en effet aussi ses porte-paroles emblématiques. Des héroïnes éponymes comme la Princesse de Clèves ou Manon Lescaut représentent des femmes autonomes qui refusent la domination masculine (par le choix final du couvent pour l’une, et la persistance dans son être pour l’autre). La voix féminine s’élève aussi parfois pour revendiquer dans quelque plaidoyer puissant sa condition et sa liberté : songeons à la lettre 81 de la Marquise de Merteuil dans Les Liaisons dangereuses ou à l’ultime lettre de Roxane à Usbek à la fin des Lettres persanes ou encore aux accents féministes du récit de sa vie par Marianne dans le roman de Marivaux. L’émancipation peut enfin être affaire de prise de parole : les œuvres littéraires d’écrivaines telles qu’elles se développent à partir du XXe siècle (mais aussi telles qu’elles ont toujours existé malgré l’hostilité de la société, jusqu’au XIXe siècle, à l’égard de la femme qui écrit) placent sur le devant de la scène des préoccupations plus proprement féminines (le rapport au travail, au mariage, à l’enfantement, à la famille) et affirme une identité. On songe par exemple à la dernière rencontre entre Mme de Clèves et Monsieur de Nemours qui donne lieu, de la part de la jeune veuve, à l’exposé des raisons qui lui font préférer une vie solitaire à une vie maritale dans le roman de Mme de Lafayette ; dans un autre genre, on peut avoir en tête les lettres de Madame de Sévigné à sa fille, lettres qui réfléchissent volontiers au sens de la maternité et au statut de la femme enceinte. De façon plus attendue, nombre de textes d’écrivaines du XXe siècle posent des problèmes de femme : la mère et l’enfant dans les Tropismes IX ou XX de Sarraute, les comportements différents de la mère à l’égard de sa fille et à l’égard de son fils dans L’Amant ou Un Barrage contre le Pacifique de Duras. Il ne s’agit plus de mettre en scène par un arsenal de stéréotypes une héroïne canonique, mais d’exprimer « de l’intérieur » sensations et rêveries. Ces œuvres permettent de réfléchir à une spécificité des femmes écrivains à défaut de permettre d’établir une écriture féminine.
Revendications féministes
Vous pouvez aussi consulter
Les femmes et la révolution française, dossier pédagogique
La révolution française et le droit des femmes à l'instruction
Si les premières mobilisations en faveur des femmes sont très anciennes, c’est seulement à la Révolution que s’exprime, conformément aux idéaux des Lumières, une aspiration à l’égalité des sexes. Pouvoir, éducation, liberté sexuelle, liberté d’expression : du postambule de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne au discours historique de Simone Veil en faveur de l’avortement, on pourra identifier, à travers des manifestes, des articles ou des discours, quelques grands combats du féminisme. Mais, si les projets de loi ne viennent qu’entériner l’éveil des consciences pressenti par Marivaux dans La Colonie, comment la femme s’élève-t-elle du statut d’objet à celui de sujet ? Qui formule ses revendications, et comment ? A côté des rares hommes qui défendent les droits de la femme en faisant leur éloge, comme Descartes, Louis-Sébastien Mercier ou Michelet, se trouvent des femmes, qui ont rarement droit à l’éducation et à la parole. On pourra s’arrêter sur les figures de George Sand, de Colette, voire de Duras et Sagan, dont la plume et la vie aventureuse reflètent une émancipation qui remet en cause le déterminisme sexuel. « Aucun destin biologique, psychique, économique, ne définit la figure que revêt au sein de la société la femelle humaine ; c’est l’ensemble de la société qui élabore ce produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu’on qualifie de féminin » affirme Beauvoir dans Le Deuxième Sexe. Le féminisme ne revendique pas seulement des droits, il en appelle à une relecture du monde : la mise en place de l’égalité réelle exige la mise au jour des mécanismes de la domination. A côté des récits autobiographiques, comme La femme gelée d’Annie Ernaux, l’étude devrait faire la part belle à l’essai. Contre une vision « androcentrée », Michèle Perrot cherche à réhabiliter les femmes comme actrices de l’histoire. Avec son concept de « classe de sexe », Christine Delphy substitue à la théorie de l’exploitation du prolétariat celle de la domination des femmes par le patriarcat. La langue elle-même est piégée. Si « l’homme » dans « la question de l’homme » vise un concept universel, « la question des femmes » suggère le particularisme, et les genres linguistiques façonnent notre vision du monde.
Simone Veil, une figure de la lutte pour les droits de la femme défendant son texte de loi à l'Assemblée pour autoriser l'avortement (l'IVG) le 26 novembre 1974
Légalisation de la contraception et de l’avortement : ce sont les lois Veil (1975).
- Développement du divorce
- Les femmes s’intègrent de plus en plus dans la vie active (cherchent un emploi).
- Développement des unions libres : concubinage autorisé, puis PACS et depuis 2013 la loi légalisant le mariage homosexuel ("mariage pour tous").
- Loi sur la parité en 2000 qui oblige les partis politiques à présenter autant d’hommes que de femmes aux élections.
A consulter
L'Histoire par l'image publie un hors-série sur les Femmes. Plus de 217 études sont ici regroupées selon des thématiques aussi diverses que les femmes et le travail, les femmes de spectacles, les femmes et la révolution, la prostitution, les mouvements féministes, la mode, le vote des femmes ….Ce hors-série entend éclairer leurs conditions de vie, leurs rôles dans la société et leurs évolutions.
Dossier sur les combats menés pour les droits des femmes
Le féminisme est un terme large qui comprend l’ensemble de mouvements ou d’idées aspirant à l’égalité entre les hommes et les femmes. Les combats menés pour les droits des femmes et leur libération remontent loin dans l’histoire. Mais les premières revendications de masse concernant le droit au travail ou à l’éducation prennent forme au XVIIIe siècle. Le chemin de leur réalisation sera extrêmement long. Même après la vague féministe des années 1960, des inégalités entre les hommes et les femmes restent importantes.
Quand l’art rencontre les luttes féministes
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Date de dernière mise à jour : 02/08/2023
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