HLP, l'humain et ses limites. L'humain, le surhumain et l'inhumain. Le fantasme de l'homme créateur.

La technique est humaine - la technique est surhumaine. La technique ne risque t'-elle pas de devenir inhumaine?

L humain et ses limites

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L'humanité en question

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Penser l'homme comme « être humain » et non comme être vivant c'est tenter de penser une altérité radicale entre l’homme et l’animal.

L’humain

L’humain, du latin humanus, de homo qui signifie « homme »

Comme substantif, il est simplement défini, dans le Petit Robert par exemple, comme « ce qui est humain ; l’homme et ce qui appartient à l’homme », avec comme exemple « réduire le monde à l’humain », puis comme « être humain » (l’humain, c’est l’être humain, c’est-à-dire l’homme)

Questionner l'« être humain » dans son essence est une question importante de la philosophie. Dans la définition métaphysique traditionnelle, « l'homme est présenté d'emblée comme un certain être qui, à la différence des autres animaux, serait doué d'une faculté qui lui assure un certain rayonnement, la faculté de raisonner » - Penser l'homme comme « être humain » et non comme être vivant c'est tenter de penser une altérité radicale entre l’homme et l’animal. Depuis les débuts de la philosophie grecque les traits spécifiques attribués à l'« être humain » sont associés à l'« animalité raisonnable »

L’être humain s’oppose donc aux animaux et aux Dieux dans le polythéisme puis à Dieu avec le monothéisme occupant ainsi une place intermédiaire.

Depuis les débuts de la philosophie grecque les traits spécifiques attribués à l'« être humain », associés à l'« animalité raisonnable ». Il nous faut donc envisager la question de l’humain par rapport aux techniques d’intelligence artificielle et au transhumanisme.

Existence et finitude : les limites de l’humain

Dans la phénoménologie contemporaine la notion de finitude a pris une place considérable. Pour l'être humain il ne s'agit pas seulement de sa condition mortelle mais aussi du constat que notre faculté de connaître par les sens et par l'entendement est étroitement limitée. De plus, considérée sous le rapport de la fragilité de notre condition, éphémère et changeante, à notre opacité, la finitude s'oppose à l'immuable ainsi qu'à la transparence. Par rapport aux autres choses et êtres finis, la conscience que nous avons de notre finitude et de notre condition précaire, en constitue un aspect essentiel, tant par la perception de notre inéluctable dégradation physique que par la valeur que nous donnons à notre existence et à notre être, valeur que résume une notion comme celle de « dignité de la personne humaine » : « L'homme est grand en ce qu'il se connaît misérable » Pascal.

Les limites de l’humain Le mythe d’Icare et le mythe de Prométhée - Ces mythes sont aussi évocateurs de l'hybris

Les limites de l’humain

Le mythe d’Icare nous montre que l’humain tente toujours de repousser les frontière de sa condition au risque de sa vie. En fabriquant pour lui et son fils, des ailes grâce à de la cire et des plumes, Dédale cherche à dépasser les limites de leur corps pour s’échapper par les airs. Ce mythe nous montre qu’il est dangereux de dépasser les limites de sa condition humaine par la technique

À cause de ses trahisons répétées, Dédale est jeté avec son fils Icare dans le labyrinthe dont il est l'architecte. Ne pouvant emprunter ni la voie des mers, que Minos contrôlait, ni celle de la terre, Dédale eut l'idée, pour fuir la Crète, de fabriquer des ailes semblables à celles des oiseaux, confectionnées avec de la cire et des plumes. Il met en garde son fils, lui interdisant de s'approcher trop près de la mer, à cause de l'humidité, et du Soleil, à cause de la chaleur. Mais Icare, appréciait la vue et voulut en voir plus grisé par le vol, oublia l'interdit et prit de plus en plus d'altitude. La chaleur fait fondre la cire jusqu'à ce que ses ailes finissent par le trahir.

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Le mythe de Prométhée

Prométhée fait en sorte que l'Homme puisse tenir debout sur ses deux jambes, il lui donne un corps plus grand, distingué et proche de celui des dieux. Puis, après la victoire des nouveaux dieux dirigés par Zeus sur les Titans, Prométhée se rend alors sur le char du soleil avec une torche, dissimule un tison dans une tige creuse de fenouil et donne le « feu sacré » à la race humaine. Il enseigne aussi aux humains la métallurgie et d'autres arts, eux-mêmes enseignés à Prométhée par Athéna qui était complice puisqu’elle l’aida à entrer secrètement dans l’Olympe.
Prométhée entre de ce fait en conflit avec Zeus qui lui inflige un supplice

Ce mythe  rapporte comment ce messager divin ose se rebeller, pour voler (contre l'avis des dieux) le Feu sacré de l'Olympe (invention divine symbole de la connaissance) afin de l'offrir aux humains et leur permettre de s'instruire .
Ce mythe est aussi évocateur de l'hybris (la force démesurée), la folle tentation de l'Homme de se mesurer aux dieux et ainsi de s'élever au-dessus de sa condition. Son nom Prométhée signifie : "celui qui pense avant". Celui-ci, tout au contraire, symbolise la rupture avec l'ordre naturel, c'est déjà la "culture" qui nie et qui dérègle la nature. C'est donc lui qui apporte la technique, en la volant aux dieux et en la donnant aux hommes. C'est un intermédiaire, comme le dieu Eros, démon hybride et philosophe selon Platon. Le vol symbolise de toute évidence l'ambition illégitime des hommes et leur désir d'égaler ou de dépasser les dieux. C'est d'ailleurs pour cela que ceux-ci sont furieux et punissent le titan, bien conscients que la technique donnerait aux humains un savoir et un pouvoir incontrôlables. Un "monde de la technique" d'où serait bannie la croyance et le respect envers les dieux. Ce mythe peut également être mis en parallèle avec le récit biblique d'Adam et Ève, chassés du Paradis pour avoir goûté le fruit de l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal. Ces mythes sont aussi évocateurs de l'hybris, la tentation de l'homme de se mesurer aux dieux, ou plus généralement de s'élever au-dessus de sa condition. (Voir le mythe d'Icare… Ou comment un homme, par un moyen non naturel, parvient à voler et à s'approcher du soleil, jusqu'à faire fondre la cire qui attachait ses ailes…)

L'histoire de Pandore et de la boîte de Pandore : la technique est humaine - la technique est surhumaine. La technique ne risque t'-elle pas de devenir inhumaine?

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Il y a encore un autre mythe très intéressant, articulé à celui-ci. C'est l'histoire de Pandore et de la boite de Pandore. Pandore est censée être la première femme (comme Eve). Elle fut créée sur l'ordre de Zeus qui voulait se venger des hommes pour le vol du feu par Prométhée. Zeus offrit la main de Pandore à Épiméthée, frère de Prométhée. Bien qu'il eût promis à Prométhée de refuser les cadeaux venant de Zeus, Épiméthée accepta Pandore. Pandore apporta dans ses bagages une boite mystérieuse contenant tous les maux de l'humanité, notamment la Vieillesse, la Maladie, la Guerre, la Famine, la Misère, la Folie, le Vice, la Tromperie et la Passion, ainsi que l'Espérance, qu'il lui fut interdit d'ouvrir. Une fois installée comme épouse, elle céda à la curiosité et ouvrit la boite : elle libéra ainsi les maux qu'elle contenait. Elle referma la boite trop tard pour les retenir, et seule l'Espérance, plus lente à réagir, y resta enfermée.

La technique est humaine : elle fait partie de l'essence de l'homme, elle est apparue avec lui. Elle lui permet de survivre et de vivre.
La technique est surhumaine : parce qu'elle provient des dieux et des titans, elle permet de créer.
Mais la technique ne risque t-elle pas de devenir inhumaine ? Excès du technique sur le politique, usage incontrôlé, dangerosité… Production de choses artificielles … Mode de production aliénant

Les transhumanistes cherchent à rallonger le temps de vie en bonne santé, voire atteindre la vie éternelle. modification de l’ADN, prothèses bioniques, transfert de conscience dans un ordinateur...

Le transhumanisme est un mouvement qui encourage l'utilisation des sciences et de la technologie afin d'améliorer les capacités physiques et mentales de l'être humain. Les personnes qui font partie de ce mouvement (scientifiques, philosophes) sont appelées les transhumanistes. Les transhumanistes pensent que l'être humain doit repousser ses limites, prolonger sa vie, voire la rendre immortelle. Ces penseurs considèrent que l’homme se doit d’utiliser les innovations scientifiques, qui répondent à l’évolution de l’homme. Pour eux, l’homme est un être capable de réfléchir et de prendre des décisions par lui-même. L’homme étant responsable, il est capable d’apporter des modifications à son cerveau, à son ADN et à son corps.

D'après ces transhumanistes, il est important de combattre le vieillissement et d’améliorer le développement des capacités intellectuelles et physiques comme le handicap. Selon eux, la condition humaine peut progresser grâce aux sciences, par exemple, les neurosciences

Les approches technologiques sont diverses. Elles apportent une amélioration de la vie quotidienne. On peut citer, l’exemple d’un homme à la jambe bionique qui réussit à grimper 103 étages. Le mot "bionique" correspond à une prothèse améliorée, dans ce cas précis. Les transhumanistes cherchent à rallonger le temps de vie en bonne santé des humains, voire atteindre la vie éternelle. Divers moyens sont imaginés : pilule de jouvence pour booster nos cellules qui resteraient jeunes, cellules souches pour recréer des organes qui remplaceraient ceux abîmés, modification de l’ADN, prothèses bioniques, transfert de conscience dans un ordinateur…

L’humain et ses limites : l’humain face à ses limites Vieillesse : l’angoisse des limites. Baudelaire, les petites vieilles. Fonctions allégorique et métaphysique

Poème de Baudelaire :

« Les petites vieilles »

Telles vous cheminez, stoïques et sans plaintes,

A travers le chaos des vivantes cités,

Mères au cœur saignant, courtisanes ou saintes,

Dont autrefois les noms par tous étaient cités.

Vous qui fûtes la grâce ou qui fûtes la gloire,

Nul ne vous reconnaît ! Un ivrogne incivil

Vous insulte en passant d’un amour dérisoire;

Sur vos talons gambade un enfant lâche et vil.

Honteuses d’exister, ombres ratatinées,

Peureuses, le dos bas, vous côtoyez les murs :

Et nul ne vous salue, étranges destinées !

Débris d’humanité pour l’éternité mûrs!

Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille,

L’Œil inquiet, fixé sur vos pas incertains,

Tout comme si j’étais votre père, ô merveille !

Je goûte à votre insu des plaisirs clandestins:

Je vois s’épanouir vos passions novices;

Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus;

Mon cœur multiplié jouit de tous vos vices!

Mon âme resplendit de toutes vos vertus !

Ruines! Ma famille ! Ô cerveaux congénères!

Je vous fais chaque soir un solennel adieu!

Où serez-vous demain. Eves octogénaires,

Sur qui pèse la griffe effroyable de Dieu?

Charles Baudelaire, « les fleurs du mal »

Tableaux parisiens, 1857

Le poète retrace un tableau parisien pittoresque et contrasté. Au milieu d’un monde en mouvement apparait le portrait de petites vieilles.  L’image du contraste domine entre ce qu’elles étaient hier et ce qu’elles sont aujourd’hui. L’opposition est en effet faite entre leur destinée, leur gloire ancienne au vers 4 et les « débris » quelles sont devenus et qui contraste encore avec leur grandeur morale, « stoïques et sans plaintes «  malgré leur « dos bas », leurs « ombres ratatinées » aux « pas incertains ». L’image de ces femmes fatiguées préfigure la mort au-delà de leur attachement à la vie, elles oscillent sans cesse entre la vie et la mort telles des mortes vivantes, « des débris pour l’éternité mûrs », prêtes à mourir. Les « vieilles « sont tels des objets offert au regard de Baudelaire qui les juge en tant que personnes âgées, « ratatinées », « débris d’humanité », fruits trop « mûrs ».  Le poète se découvre semblable à ses congénères, isolé, exilé dans un monde qui les rejette. Une sorte de fraternité s’établit, un peu comme s’il se découvrait une mère pour combler sa solitude. Baudelaire se perçoit tour à tour comme un fils, un orphelin et un « père » qui les « surveille ». Par conséquent, l’image de la condition du poète transparait à travers sa vision qu’il nous donne des « vieilles ».

La fonction allégorique

Baudelaire nous fait un tableau très allégorique de ces « petites vielles », elles deviennent ainsi des figures allégoriques de la modernité, elles symbolisent à la fois le présent et le passé dans un monde sans cesse en transformation dont la ville moderne est l’image. Elles préfigurent notre vieillesse et la mort à venir, l’angoisse du lendemain, question existentielle chère à Baudelaire ainsi que le suggère l’interrogation : « où serez-vous demain » ? Ou encore l’expression «  jours perdus ». Cette poésie de la modernité est lourde en connotations métaphysiques.

La fonction métaphysique

Le thème dominant est celui du temps qui passe, des effets dévastateurs que les « petites vieilles «  incarnent dans l’indifférence la plus grande, « nul ne vous salue ». L’angoisse baudelairienne transparait et avec elle ses crises existentielles sur les questions les plus préoccupantes pour l’homme, le temps qui passe, notre condition mortelle et notre impuissance face à l’irréversibilité du temps qui passe. 

M. Duras, L'Amant. Question d’interprétation littéraire : Montrez que l’autoportrait permet, dans ce passage, une introspection

MARGUERITE DURAS, L'AMANT (1984)

 Un jour, j’étais âgée déjà, dans le hall d’un lieu public, un homme est venu vers moi. Il s’est fait connaître et il m’a dit : « Je vous connais depuis toujours. Tout le monde dit que vous étiez belle lorsque vous étiez jeune, je suis venu pour vous dire que pour moi je vous trouve plus belle maintenant que lorsque vous étiez jeune, j’aimais moins votre visage de jeune femme que celui que vous avez maintenant, dévasté. » Je pense souvent à cette image que je suis seule à voir encore et dont je n’ai jamais parlé. Elle est toujours là dans le même silence, émerveillante. C’est entre toutes celle qui me plaît de moi-même, celle où je me reconnais, où je m’enchante. Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j’ai vieilli. Je ne sais pas si c’est tout le monde, je n’ai jamais demandé. Il me semble qu’on m'a parlé de cette poussée du temps qui vous frappe quelquefois alors qu’on traverse les âges les plus jeunes, les plus célébrés de la vie. Ce vieillissement a été brutal. Je l’ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu’il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. Au contraire d’en être effrayée j’ai vu s’opérer ce vieillissement de mon visage avec l’intérêt que j’aurais pris par exemple au déroulement d'une lecture. Je savais aussi que je ne me trompais pas, qu’un jour il se ralentirait et qu’il prendrait son cours normal. Les gens qui m’avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m’ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l’ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr, mais relativement moins qu’il n’aurait dû. J’ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s’est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite. J’ai un visage détruit.

Question d’interprétation littéraire : Montrez que l’autoportrait permet, dans ce passage, une introspection

L’homme amélioré, la mode et le maquillage pour tromper les limites. Montesquieu, Lettres Persanes et Baudelaire "Eloge du maquillage"

CHARLES DE MONTESQUIEU, LETTRES PERSANES, 1721. LETTRE XCIX (99)

Rica à Rhédi, à Venise

Je trouve les caprices de la mode, chez les Français, étonnants. Ils ont oublié comment ils étaient habillés cet été ; ils ignorent encore plus comment ils le seront cet hiver. Mais, surtout, on ne saurait croire combien il en coûte à un mari pour mettre sa femme à la mode. Que me servirait de te faire une description exacte de leur habillement et de leurs parures ? Une mode nouvelle viendrait détruire tout mon ouvrage, comme celui de leurs ouvriers, et, avant que tu eusses reçu ma lettre, tout serait changé. Une femme qui quitte Paris pour aller passer six mois à la campagne en revient aussi antique que si elle s’y était oubliée trente ans. Le fils méconnaît le portrait de sa mère, tant l’habit avec lequel elle est peinte lui paraît étranger ; il s’imagine que c’est quelque Américaine 8 qui y est représentée, ou que le peintre a voulu exprimer quelqu’une de ses fantaisies. Quelquefois, les coiffures montent insensiblement, et une révolution les fait descendre tout à coup. Il a été un temps que leur hauteur immense mettait le visage d’une femme au milieu d’elle-même. Dans un autre, c’étaient les pieds qui occupaient cette place : les talons faisaient un piédestal qui les tenait en l’air. Qui pourrait le croire ? Les architectes ont été souvent obligés de hausser, de baisser et d’élargir leurs portes, selon que les parures des femmes exigeaient d’eux ce changement, et les règles de leur art ont été asservies à ces caprices. On voit quelquefois sur un visage une quantité prodigieuse de mouches9 , et elles disparaissent toutes le lendemain. Autrefois, les femmes avaient de la taille et des dents 10 ; aujourd’hui, il n’en est pas question. Dans cette changeante nation, quoi qu’en disent les mauvais plaisants, les filles se trouvent autrement faites que leurs mères. Il en est des manières et de la façon de vivre comme des modes : les Français changent de mœurs selon l’âge de leur roi. Le monarque pourrait même parvenir à rendre la nation grave, s’il l’avait entrepris. Le Prince imprime le caractère de son esprit à la Cour ; la Cour, à la Ville ; la Ville, aux provinces. L’âme du souverain est un moule qui donne la forme à toutes les autres.

De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717.

Montesquieu fait une satire de la mode en mettant en avant avec humour son inconstance et sa superficialité.  Il élargit ensuite sa réflexion aux mœurs du royaume.

CHARLES BAUDELAIRE, « ELOGE DU MAQUILLAGE », LE PEINTRE DE LA VIE MODERNE (1868)

La femme est bien dans son droit, et même elle accomplit une espèce de devoir en s’appliquant à paraître magique et surnaturelle ; il faut qu’elle étonne, qu’elle charme ; idole, elle doit se dorer pour être adorée. Elle doit donc emprunter à tous les arts les moyens de s’élever au-dessus de la nature pour mieux subjuguer les cœurs et frapper les esprits. Il importe fort peu que la ruse et l’artifice soient connus de tous, si le succès en est certain et l’effet toujours irrésistible. C’est dans ces considérations que l’artiste philosophe trouvera facilement la légitimation de toutes les pratiques employées dans tous les temps par les femmes pour consolider et diviniser, pour ainsi dire, leur fragile beauté. L’énumération en serait innombrable; mais, pour nous restreindre à ce que notre temps appelle vulgairement maquillage, qui ne voit que l’usage de la poudre de riz, si niaisement anathématisé 1 par les philosophes candides, a pour but et pour résultat de faire disparaître du teint toutes les taches que la nature y a outrageusement semées, et de créer une unité abstraite dans le grain et la couleur de la peau, laquelle unité, comme celle produite par le maillot, rapproche immédiatement l’être humain de la statue, c’est-à-dire d’un être divin et supérieur? Quant au noir artificiel qui cerne l’œil et au rouge qui marque la partie supérieure de la joue, bien que l’usage en soit tiré du même principe, du besoin de surpasser la nature, le résultat est fait pour satisfaire à un besoin tout opposé. Le rouge et le noir représentent la vie, une vie surnaturelle et excessive ; ce cadre noir rend le regard plus profond et plus singulier, donne à l’œil une apparence plus décidée de fenêtre ouverte sur l’infini ; le rouge, qui enflamme la pommette, augmente encore la clarté de la prunelle et ajoute à un beau visage féminin la passion mystérieuse de la prêtresse. Ainsi, si je suis bien compris, la peinture du visage ne doit pas être employée dans le but vulgaire, inavouable, d’imiter la belle nature, et de rivaliser avec la jeunesse. On a d’ailleurs observé que l’artifice n’embellissait pas la laideur et ne pouvait servir que la beauté. Qui oserait assigner à l’art la fonction stérile d’imiter la nature ? Le maquillage n’a pas à se cacher, à éviter de se laisser deviner ; il peut, au contraire, s’étaler, sinon avec affectation, au moins avec une espèce de candeur. Je permets volontiers à ceux-là que leur lourde gravité empêche de chercher le beau jusque dans ses plus minutieuses manifestations, de rire de mes réflexions et d’en accuser la puérile solennité ; leur jugement austère n’a rien qui me touche ; je me contenterai d’en appeler auprès des véritables artistes, ainsi que des femmes qui ont reçu en naissant une étincelle de ce feu sacré dont elles voudraient s’illuminer tout entières.

De l’humain au surhumain LE FANTASME DE L’HOMME CRÉATEUR. Quel regard le créateur pose-t-il, dans cet extrait, sur sa créature et sur son propre travail ?

MARY SHELLEY, FRANKENSTEIN OU LE PROMÉTHÉE MODERNE (1818)

Comment pourrais-je décrire mon émoi devant un tel prodige ? Comment pourrais-je dépeindre cet être horrible dont la création m’avait coûté tant de peines et tant de soins ? Ses membres étaient proportionnés et les traits que je lui avais choisis avaient quelque beauté. Quelque beauté ! Grand Dieu ! Sa peau jaunâtre, tendue à l’extrême, dissimulait à peine ses muscles et ses artères. Sa longue chevelure était d’un noir brillant et ses dents d’une blancheur de nacre. Mais ces avantages ne formaient qu’un contraste plus monstrueux avec ses yeux stupides dont la couleur semblait presque la même que celle, blême, des orbites. Il avait la peau ridée et les lèvres noires et minces. Les avatars multiples de l’existence ne sont pas aussi variables que les sentiments humains. J’avais, pendant deux ans, travaillé sans répit pour donner la vie à un corps inanimé. Et, pour cela, j’avais négligé mon repos et ma santé. Ce but, j’avais cherché à l’atteindre avec une ardeur immodérée– mais maintenant que j’y étais parvenu, la beauté de mon rêve s’évanouissait et j’avais le cœur rempli d’épouvante et de dégoût. Incapable de supporter la vue de l’être que j’avais créé, je sortis de mon laboratoire et longtemps je tournai en rond dans ma chambre à coucher, sans trouver le sommeil. Enfin la fatigue l’emporta et je me jetai tout habillé sur mon lit pour chercher, quelque temps, l’oubli de ma situation. En vain. Je dormis sans doute mais ce fut pour être assailli par les rêves les plus terribles. Je crus voir Elisabeth, débordante de santé, se promener dans les rues d’Ingolstadt. Charmé et surpris, je l’enlaçai mais, alors que je posais mes lèvres sur les siennes, elle devint livide comme la mort. Ses traits se décomposèrent et j’eus l’impression que je tenais entre mes bras le cadavre de ma mère. Un linceul l’enveloppait et, à travers les plis, je vis grouiller les vers de la tombe. Je me réveillai avec horreur. Une sueur glacée me couvrait le front, mes dents claquaient, j’étais saisi de convulsions. Puis, la lumière jaunâtre de la lune se glissa à travers les croisées de la fenêtre et j’aperçus le malheureux – le misérable monstre que j’avais créé. Il soulevait le rideau de mon lit et ses yeux, si je puis les appeler ainsi, étaient fixés sur moi. Ses mâchoires s’ouvrirent et il fit entendre des sons inarticulés, tout en grimaçant. Peut-être parlait-il mais je ne l’entendis pas. Une de ses mains était tendue, comme pour me retenir. Je pris la fuite et me précipitai vers les escaliers. Je cherchai refuge dans la cour de la maison où je passai le reste de la nuit, marchant fébrilement de long en large, aux aguets, attentif au moindre bruit, à croire qu’il annonçait chaque fois l’approche du démon à qui j’avais si piteusement donné la vie. Quel mortel pourrait supporter l’horreur d’une telle situation ! Une momie à qui l’on rendrait l’âme ne pourrait pas être aussi hideuse que ce misérable. Je l’avais observé avant qu’il ne fût achevé : il était laid à ce moment-là, mais quand ses muscles et ses articulations furent à même de se mouvoir, il devint si repoussant que Dante lui-même n’aurait pas pu l’imaginer.

Question d’interprétation littéraire : Quel regard le créateur pose-t-il, dans cet extrait, sur sa créature et sur son propre travail ?

SCIENCE-FICTION ET ROBOTS : L’UNIVERS D’ASIMOV :

Enjeu : découverte de l’œuvre d’Asimov, du genre de la science-fiction, et des questionnements autour des frontières entre l’humain et la machine.

ISAAC ASIMOV, ROBERT SILVERBERG, TOUT SAUF UN HOMME (1993)

En 2007, ils étaient totalement interdits où que ce fût sur la planète, sauf dans le cadre de la recherche scientifique, et ce dans des conditions minutieusement contrôlées. Bien sûr, on pouvait envoyer des robots dans l'espace, dans les usines et les stations d'exploration dont le nombre croissait sans cesse hors de la Terre : ils, pouvaient bien se colleter avec les conditions épouvantables qui régnaient sur la glaciale Ganymède et la torride Mercure, se fatiguer à gratouiller la surface de la Lune, courir les risques vertigineux des premières expériences de Saut qui devaient ouvrir aux humains la route de l'hyperespace et des étoiles; mais l'emploi gratuit et généralisé des robots sur Terre -pour occuper de précieux créneaux de la société seraient autrement disponibles pour de vrais êtres humains de chair et de sang , et nés selon les lois de la nature -non! Non ! Pas de ça chez nous ! Enfin, cet état d'esprit avait fini par changer, bien entendu. Et les changements les plus spectaculaires avaient commencé à se dessiner vers l'époque où le Robot NDR-113, qu'on devait plus tard connaître sous le nom d'Andrew Martin, était en cours d'assemblage à l'usine mère de la Région Nord de United States Robots and Mechanical Men. Un des éléments qui, à cette époque, amenèrent l'abandon progressif des préjugés anti-robots sur Terre fut tout simplement les relations publiques. United States Robots and Mechanical Men n'était pas seulement une organisation axée sur la science. Ceux qui la dirigeaient n'ignoraient pas l'importance qu'il y avait aussi à en préserver la rentabilité. Aussi avaient-ils trouvé un moyen discret, subtil et efficace pour écorner peu à peu le mythe de Frankenstein attaché au robot, l'image de l'homme mécanique en Golem redoutable. Les robots existent pour notre confort, clama le service de relations publiques de U.S.R.M.M. Les robots sont là pour nous aider. Les robots ne sont pas nos ennemis. Les robots sont parfaitement sûrs, sûrs audelà de toute possibilité de doute. Et - parce que effectivement tout cela était tout à fait exact - les gens commencèrent à accepter la présence de robots parmi eux, non sans rechigner, toutefois. Beaucoup -la majorité, peut-être - se sentaient mal à l'aise face au concept même de robot.

Salomé BOUR, «Le corps augmenté, nouveau lieu d’expression de soi», Le Corps des transhumains, 2019.

« Les extropiens veulent s’améliorer physiquement, psychologiquement,

intellectuellement, éthiquement – cela signifie qu’ils tendent vers la

perfection à tous ces niveaux […] et cherchent à échapper à la condition

humaine – en cela consiste pour eux le but de l’existence. Et ce que

donnent à voir les progrès techniques, ce sont précisément les aptitudes

de l’homme à contrer les effets de la nature. Grâce à des technologies

intégrées – électrodes pour stopper les tremblements liés à la maladie

de Parkinson ou prothèses intelligentes pour remplacer des membres

manquants –, il est possible de réparer et parfois même d’améliorer le

corps biologique. […]

Ainsi les prothèses deviennent-elles, d’une certaine manière, immortelles

et susceptibles d’une amélioration continue; or, si nous sommes capables

de fabriquer des objets techniques intemporels aptes à remplacer certaines 

parties du corps et/ou en décupler les potentialités, pourquoi ne pas

le modifier, ce corps, entièrement et systématiquement, c’est-à-dire

remplacer les organes détériorés par des organes de synthèse, augmenter 

les performances cognitives et les capacités intellectuelles, bref, créer un

corps sans défauts, à l’image que l’on se fait de soi ? »

Au Cœur des Robots

Serons-nous tous immortels demain?

Documentaire Arte Bébés sur mesure (sur youtube)

Choix du sexe, de la couleur des yeux, du meilleur ADN… : une enquête stupéfiante dans le monde des bébés à la carte, qui questionne le pouvoir démiurgique de l’homme sur la nature.

En 1978, le premier bébé-éprouvette voyait le jour au Royaume-Uni dans une tempête de polémiques. Moins de quarante ans après, la fécondation in vitro (FIV) représente 3 % des naissances dans les pays occidentaux. Pour assouvir leur désir d’enfant, les couples stériles, homosexuels ou atteints de maladies héréditaires se tournent vers la procréation médicalement assistée, voire la gestation pour autrui. Mais une autre révolution est en cours : il est désormais possible de choisir le sexe de son enfant, et jusqu’à la couleur de ses yeux, en opérant une sélection des embryons avant l’implantation. Parallèlement, en 2015, le Parlement britannique a donné son feu vert à la mise en œuvre du protocole des bébés à trois ADN, provenant de trois parents, pour lutter contre une maladie génétique. Tandis que la firme américaine OvaScience planche sur la production d’ovules à partir de cellules souches, une start-up lyonnaise, Kallistem, parvient déjà à fabriquer des spermatozoïdes humains in vitro. Des millions d’embryons pourraient ainsi être produits et passés au screening (dépistage) génétique. Plus stupéfiant : la technologie CRISPR, qui permet de corriger l’ADN en vue de traiter des pathologies, a récemment été utilisée par une équipe chinoise sur des embryons humains. S’ils n’ont pas vocation à être implantés, ceux-ci ouvrent néanmoins la voie aux bébés génétiquement modifiés…


De l’Inde aux États-Unis en passant par la France, cette enquête limpide et saisissante dresse un état des lieux scientifique, économique et philosophique de la procréation médicalement assistée, entre avancées et dérives. Appuyée par les témoignages d’experts, elle pointe la nécessité d’engager un vaste débat de société face à cet effrayant glissement eugéniste.

Date de dernière mise à jour : 10/01/2023

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