Sylvain Tesson, Les Forêts de Sibérie. Défendre ce choix de lecture à l'entretien de français
Sylvain Tesson, un écrivain voyageur : " Quiconque a traversé la Sibérie ne pourra plus jamais prétendre au bonheur"
« Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence, toutes choses dont manqueront les générations futures ?
Sylvain Tesson : «J'ai vécu six mois en ermite au bord du lac Baïkal»
"Sur les rives du lac Baïkal, à la pointe du cap des Cèdres du Nord. ... J'y ai emporté des livres, des cigares et de la vodka. Le reste l'espace, le silence et la solitude était déjà là."
Qui est Sylvain Tesson?
Sylvain Tesson est un écrivain et voyageur français.
En 2010, il réalise un projet souvent évoqué auparavant, en allant vivre six mois (de février à juillet) en ermite dans une cabane au sud de la Sibérie, sur les bords du lac Baïkal. Il relate cette expérience solitaire dans son journal publié l'année suivante sous la forme d'un essai autobiographique intitulé : "Dans les forêts de Sibérie", qui est adapté au cinéma par Safy Nebbou en 2016. Sa vie dans sa cabane en bois sur les rives du lac Baïkal est un appel à la vie simple, six mois de frugalité, de simplicité, de liberté, de contemplation de la nature.
Dans les forêts de Sibérie est à la fois un récit de voyage, un journal, un traité de philosophie, une découverte de la culture russe, un appel à la liberté et à la nature, une ouverture à soi.
Dans les forêts de Sibérie est par ailleurs un succès de librairie, la seule édition grand format s'étant vendue à plus de 250 000 exemplaires, le livre a reçu le prix Médicis essai le 4 novembre 2011
Ce récit est également rattaché à la réalisation d'un documentaire télévisé de 52 minutes coréalisé avec Florence Tran et diffusé sur France Le livre a fait l'objet d'une adaptation libre au cinéma dans un film homonyme réalisé par Safy Nebbou en 2016 avec Raphaël Personnaz et Evgueni Sidikhine dans les rôles principaux
Virgile Dureuil publie aux éditions Casterman en octobre 2019 une adaptation du récit en bande dessinée réalisée sous la supervision de Sylvain Tesson
Ce récit a fait aussi l'objet d'une adaptation au théâtre en 2023, par Estelle Andréa et William Mesguich
Résumé
Sur ce territoire parsemé de cabanes forestières et météorologiques, l'auteur a pour motivation de ne pas nuire à la planète. Le printemps commence fin avril et les eaux se libèrent mi-mai. Un couple d'amis russes lui donne deux chiots. Mi-juin, sa compagne restée en France lui annonce qu'elle le quitte.
Sylvain Tesson livre le fruit de ses lectures et de ses réflexions, citant les auteurs littéraires qu'il lit et décrivant la flore et la faune qui l'entourent. Il parcourt certains jours plusieurs kilomètres autour de sa cabane, tantôt à pied, tantôt en patin à glace ou en kayak, ce qui donne lieu à des pages descriptives précises et évocatrices de cette région de la Sibérie.
L'auteur passe parfois quelques séjours à un ou deux jours de distance chez ses amis russes forestiers qui aussi viennent parfois brièvement lui rendre visite. Les discussions sur l'amour de la Sibérie, de la nature et de l'immensité du destin humain ont lieu au cours d'inspections de la forêt ou de repas amicaux. Ses amis sont informés par la radio des événements du monde. Quand il quitte cette robinsonade, Sylvain Tesson laisse ses chiens et se promet de revenir.
Une expérience partagée avec le lecteur dès la préface :
" Dans ce désert, je me suis inventé une vie sobre et belle, j’ai vécu une existence resserrée autour de gestes simples. J’ai regardé les jours passer, face au lac et à la forêt. J’ai coupé du bois, pêché mon dîner, beaucoup lu, marché dans les montagnes et bu de la vodka, à la fenêtre. La cabane était un poste d’observation idéal pour capter les tressaillements de la nature. [… ]
Au fond de la taïga, je me suis métamorphosé. l’immobilité m’a apporté ce que le voyage ne me procurait plus.... "
Une expérience dans la solitude de l'immensité blanche propice à l'écriture :
" Sur la neige, avec un bâton, je trace le premier poème d’une série de “haïkus des neiges” : Pointillé des pas sur la neige : la marche couture le tissu blanc.
L’avantage de la poésie inscrite sur la neige, c’est qu’elle ne tient pas. Les vers seront emportés par le vent. "
23 FÉVRIER
Une expérience enrichie d'observations :
" Parfois, cette envie de ne rien faire. Je suis depuis une heure assis à ma table et je surveille la progression des rais du soleil sur la nappe. La lumière anoblit tout ce qu’elle effleure. Le bois, la tranche des livres, le manche des couteaux, la courbe du visage et celle du temps qui passe, et même la poussière en suspens dans l’air.
Ce n’est pas rien d’être grains de poussière en ce monde.
Voilà que je m’intéresse à la poussière. Le mois de mars va être long. "
28 FÉVRIER
Une expérience de liberté dans la maîtrise du temps
" L’homme libre possède le temps. L’homme qui maîtrise l’espace est simplement puissant. En ville, les minutes, les heures, les années nous échappent. Elles coulent de la plaie du temps blessé. Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien gentil, et soudain, on ne sait même plus s’il est là. Je suis libre parce que mes jours le sont. "
3 MARS
Une expérience de réalisation de soi
" Pendant cinq années, j’ai rêvé à cette vie. Aujourd’hui, je la goûte comme un accomplissement ordinaire. Nos rêves se réalisent mais ne sont que des bulles de savon explosant dans l’inéluctable. "
9 MARS
Une expérience philosophique, une réflexion sur le genre humain, l'homme est nuisible
" Aujourd’hui, je n’ai nui à aucun être vivant de cette planète. Ne pas nuire. "
21 MARS
Une expérience unique, celle de la contemplation de la nature vers la paix de l'âme loin des maux existentiels
Depuis quelques jours, je me livre à une expérience pavlovienne qui commence à porter ses fruits. A 9h, je joue un air de flûte à ma fenêtre avant de jeter des miettes aux mésanges. Ce matin, elles sont arrivées aux premières notes, bien avant que je ne dispose leur dû. Je hume l’air de l’aube, entouré d’oiseaux. Il ne manque que Blanche-Neige.
31 MARS
"cCette vie procure la paix. Non que toute envie s’éteigne en soi. […] En rétrécissant la panoplie des actions, on augmente la profondeur de chaque expérience. La lecture, l’écriture, la pêche, l’ascension des versants, le patin, la flânerie dans les bois… L’existence se réduit à une quinzaine d’activités. Le naufragé jouit d’une liberté absolue mais circonscrite aux limites de son île. Au début des récits de robinsonnade, le héros […] est persuadé que tout est possible, que le bonheur se situe derrière l’horizon. […] Apaisé, il découvre que la limitation est source de joie. "
5 AVRIL
" La vie en cabane est un papier de verre. Elle décape l’âme, met l’être à nu, ensauvage l’esprit et embroussaille le corps, mais elle déploie au fond du cœur des papilles aussi sensibles que des spores. L’ermite gagne en douceur ce qu’il perd en civilité. "
16 JUILLET
Vers la lecture cursive
" Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures?Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu. "
C'est dans Les Forêts de Sibérie, publié en 2011, primé du prix Médicis que Sylvain Tesson réalise son rêve d'ermite en vivant 6 mois, de février à juillet 2010 dans une cabane au bord du Baïkal. L'écrivain voyageur ayant compris qu'il n'allait pas pouvoir changer le monde par ses errances cherche en l'immobilité d'une nature grandiose, sauvage, dangereuse, au coeur de l'immensité de la Sibérie, dans un rapport nouveau à l'espace et au temps, le moyen de ne pas nuire à la planète et de s'accorder avec la nature jusque dans le passage des saisons à la faune, à la flore, un bonheur autour de l'essentiel.
Dans un parcours en récit initiatique, le monologue intérieur du personnage touche le lecteur par la solitude de l'ermite relativisée par son ouverture à l'autre dans les expéditions, les scènes de beuverie, les gens de passage. Entre le bonheur de la solitude et le besoin de partage, l'humour évoqué par le besoin de l'autre dans la phrase, "il me manque quelqu'un à qui l'expliquer", l'écrivain enrichit sa réflexion par des lectures à la critique souvent sévère jusqu'à la dénonciation de la société de consommation, sa futilité et la destruction de la nature. Cette dimension initiatique du récit est un cri, un appel à une vie plus simple, un besoin de réconciliation avec soi-même, l'autre et le monde.
Sylvain Tesson partage avec le lecteur dès la préface son existence aux gestes simples depuis son poste d'observation propice à l'écriture en homme libre pour posséder le temps des rêves qui se réalisent. Accomplissement ordinaire, réalisation de soi, son expérience philosophique est aussi une réflexion sur le genre humain car l'homme est un être nuisible pour la planète. C'est pourquoi la contemplation de la nature s'accorde à la paix de l'âme loin des maux existentiels dans un horizon rétréci.
Ainsi, contrairement aux récits de robinsonnade dans lesquels le héros est persuadé que tout est possible et que le bonheur se situe derrière l'horizon, l'ermite découvre par cette vie simple que la limitation est source de paix et de joie.
Lecture : "Aujourd’hui, je n’ai nui à aucun être vivant de cette planète. Ne pas nuire. "
Je suis libre de tout faire dans un monde où il n’y a rien à faire.
Il suffisait de demander à l’immobilité ce que le voyage ne m’apportait plus : la paix.
Le froid, le silence et la solitude sont des états qui se négocieront demain plus chers que l’or. Sur une terre surpeuplée, surchauffée, bruyante….
L’ennui ne me fait aucune peur. Il y a morsure plus douloureuse : le chagrin de ne pas partager avec un être aimé la beauté des moments vécus. La solitude : ce que les autres perdent à n’être pas auprès de celui qui l’éprouve. A Paris, avant le départ, on me mettait en garde. L’ennui constituerait mon ennemi mortifère ! J’en crèverais ! J’écoutais poliment. Les gens qui parlaient ainsi avaient le sentiment de constituer à eux seuls une distraction formidable. « Réduit à moi seul, je me nourris, il est vrai, de ma propre substance, mais elle ne s’épuise pas… » écrit Rousseau dans les Rêveries.
L’homme libre possède le temps. L’homme qui maîtrise l’espace est simplement puissant. En ville, les minutes, les heures, les années nous échappent. Elles coulent de la plaie du temps blessé. Dans la cabane, le temps se calme. Il se couche à vos pieds en vieux chien gentil et, soudain, on ne sait même plus qu’il est là. Je suis libre parce que mes jours le sont.
Quand deux petits chiens vous fêtent au matin, la nuit prend la saveur de l’attente. La fidélité du chien n’exige rien, pas un devoir. Son amour se contente d’un os. Les chiens? On les fait coucher dehors, on leur parle comme à des charretiers, on leur aboie dessus, on les nourrit des restes et de temps en temps, vlan! une baffe dans les côtes. Ce qu’on leur offre en coups, ils nous le rendent en bave. Et je comprends soudain pourquoi les hommes ont fait du chien leur meilleur ami : c’est une pauvre bête dont la soumission n’a pas à être payée en retour. Une créature qui correspondait donc parfaitement à ce que l’homme est capable de donner.
Le cigare et la vodka, compagnons idéaux de ces moments de repli. Aux pauvres gens solitaires, il ne reste que cela. Et les ligues hygiénistes voudraient interdire ces bienfaits ! Pour nous faire parvenir à la mort en bonne santé ?
Usage de la fenêtre : inviter la beauté à entrer et laisser l’inspiration sortir.
Et si la liberté consistait à posséder le temps?Et si le bonheur revenait à disposer de solitude, d’espace et de silence – toutes choses dont manqueront les générations futures?Tant qu’il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.
Je suis empereur d’une berge, seigneur de mes chiots, roi des Cèdres du Nord, protecteur des mésanges, allié des lynx et frère des ours. Je suis surtout un peu gris parce qu’après deux heures d’abattage de bois, je viens de m’envoyer un fond de vodka.
La marque Heinz commercialise une quinzaine de variétés de sauces. Le supermarché d’Irkoutsk les propose toutes et je ne sais quoi choisir. J’ai déjà rempli six caddies de pâtes et de Tabasco. Le camion bleu m’attend. Micha, le chauffeur, n’a pas éteint le moteur, et dehors, il fait -32. Demain, nous quittons Irtoutsk. En trois jours, nous atteindrons la cabane, sur la rive ouest du lac. Je dois terminer les courses aujourd’hui. Je choisis le « super hot tapas » de la gamme Heinz. J’en prends dix-huit bouteilles : trois par mois.
Quinze sortes de ketchup. A cause de choses pareilles, j’ai eu envie de quitter ce monde.
Je pense au destin des visons. Naître dans la forêt, survivre aux hivers, tomber dans un piège et finir en manteau sur le dos de rombières dont l’espérance de vie sous les futaies serait de trois minutes… Si encore les femmes couvertes de fourrure avaient la grâce des mustélidés qu’on écorche pour elles. Il y a cinq jours, Sergueï m’a raconté une histoire. Le gouverneur d’Irkoutsk s’adonnait à la chasse à l’ours de son hélicoptère dans les montagnes qui dominent le Baïkal. Le MI8, déstabilisé par une rafale, s’est écrasé. Bilan, huit morts. Sergueï : « Les ours devaient danser la polka autour du brasier. »
Je n’ose me lever ce matin. Ma volonté est lâchée en liberté dans le champs des jours vierges. Le danger: demeurer tétanisé jusqu’à la nuit à regarder le blanc en disant: »Dieux! comme je suis libre! »
Il s’est remis à neiger. Il n’y a personne. Même pas un véhicule au loin. La seule chose qui passe ici, c’est le temps.
Aujourd’hui, je n’ai nui à aucun être vivant de cette planète. Ne pas nuire. Etrange que les anachorètes du désert n’avancent jamais ce beau souci dans les explications de leur retraite. Pacôme, Antoine, Rancé évoquent leur haine du siècle, leur combat contre les démons, leur brûlure intérieure, leur soif de pureté, leur impatience à gagner le Royaume céleste, mais jamais l’idée de vivre sans faire de mal à personne. Ne pas nuire. Après une journée dans la cabane des Cèdres du Nord, on peut se le dire en se regardant dans les glaces.
Se lever de son lit demande une énergie formidable. Surtout pour changer de vie. Cette envie de faire demi-tour lorsqu’on est au bord de saisir ce que l’on désire. Certains hommes font volte-face au moment crucial. J’ai peur d’appartenir à cette espèce.
Pour aller plus loin : Questions portant sur l’appropriation personnelle de l’œuvre par le candidat
Questions portant sur l’appropriation personnelle de l’œuvre par le candidat
Que pensez-vous du titre ? Expliquez-le. Le trouvez-vous pertinent par rapport à votre lecture de l’œuvre ? Pouvez-vous en proposer un autre ?
Quel est votre personnage préféré ? À quel personnage pourriez-vous vous identifier ? Pourquoi ? Y a-t-il un personnage qui vous dérange, qui vous rebute ? Pourquoi ? Qu’auriez-vous fait à la place de tel personnage ?
Pensez-vous que, si le personnage principal de cette œuvre vivait de nos jours, il pourrait avoir le même destin ?
Quel extrait vous a le plus marqué ? Pourquoi ? Est-ce aussi en raison de son style ?
Qu’auriez-vous envie de modifier dans cette œuvre (passages à supprimer, à ajouter, changement de la fin, traits de caractère d’un personnage, etc.) ?
Si vous deviez faire une nouvelle édition de cette œuvre, quelle illustration choisiriez-vous en première de couverture ?
Quel extrait, qui vous semble le plus à même de donner envie de lire le livre, choisiriez-vous pour la quatrième de couverture ?
Si vous deviez mettre en musique un poème de cette œuvre, lequel choisirez-vous et quel type de musique proposeriez-vous ? Connaissez-vous une œuvre d’art qui pourrait illustrer cette œuvre ?
Avez-vous procédé à une activité d’appropriation qui vous a permis de mieux comprendre l’œuvre ? Si oui, laquelle et pourquoi ?
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Date de dernière mise à jour : 02/03/2024
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