Baruch Spinoza, lettre à Schuller, Lettre LVIII. Exercice guidé et corrigé. Commentaire rédigé
- Le 17/09/2024
- Dans Réussir le commentaire philosophique, méthode, repérage sur texte. Méthode de la dissertation
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Exercice guidé
J’appelle libre, quant à moi, une chose qui est et agit par la seule nécessité de sa nature ; contrainte, celle qui est déterminée par une autre à exister et à agir d’une certaine façon déterminée.
Dieu, par exemple, existe librement bien que nécessairement parce qu’il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même librement parce qu’il existe par la seule nécessité de sa nature. De même aussi Dieu se connaît lui-même et connaît toutes choses librement, parce qu’il suit de la seule nécessité de sa nature que Dieu connaisse toutes choses. Vous le voyez bien, je ne fais pas consister la liberté dans un libre décret mais dans une libre nécessité.
Mais descendons aux choses créées qui sont toutes déterminées par des causes extérieures à exister et à agir d’une certaine façon déterminée. Pour rendre cela clair et intelligible, concevons une chose très simple : une pierre par exemple reçoit d’une cause extérieure qui la pousse, une certaine quantité de mouvements et, l’impulsion de la cause extérieure venant à cesser, elle continuera à se mouvoir nécessairement. Cette persistance de la pierre dans le mouvement est une contrainte, non parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle doit être définie par l’impulsion d’une cause extérieure. Et ce qui est vrai de la pierre il faut l’entendre de toute chose singulière, quelle que soit la complexité qu’il vous plaise de lui attribuer, si nombreuses que puissent être ses aptitudes, parce que toute chose singulière est nécessairement déterminée par une cause extérieure à exister et à agir d’une certaine manière déterminée.
Concevez maintenant, si vous voulez bien, que la pierre, tandis qu’elle continue de se mouvoir, pense et sache qu’elle fait effort, autant qu’elle peut, pour se mouvoir. Cette pierre assurément, puisqu’elle a conscience de son effort seulement et qu’elle n’est en aucune façon indifférente, croira qu’elle est très libre et qu’elle ne persévère dans son mouvement que parce qu’elle le veut.
Telle est cette liberté humaine que tous se vantent de posséder et qui consiste en cela seul que les hommes ont conscience de leurs appétits et ignorent les causes qui les déterminent. Un enfant croit librement appéter le lait, un jeune garçon irrité vouloir se venger et, s’il est poltron, vouloir fuir. Un ivrogne croit dire par un libre décret de son âme ce qu’ensuite, revenu à la sobriété, il aurait voulu taire. De même un délirant, un bavard, et bien d’autres de même farine, croient agir par un libre décret de l’âme et non se laisser contraindre.
Ce préjugé étant naturel, congénital parmi tous les hommes, ils ne s’en libèrent pas aisément. Bien qu’en effet l’expérience enseigne plus que suffisamment que, s’ils est une chose dont les hommes soient peu capables , c’est de régler leurs appétits et, bien qu’ils constatent que partagés entre deux affections contraires, souvent ils voient le meilleur et font le pire, ils croient cependant qu’ils sont libres, et cela parce qu’il y a certaines choses n’excitant en eux qu’un appétit léger, aisément maitrisé par le souvenir fréquemment rappelé de quelque autre chose.
Baruch SPINOZA, lettre à Schuller, Lettre LVIII
Commentaire guidé
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1. Lecture attentive et compréhension du texte
Avant de commencer, relis attentivement le texte. Voici les principales idées que tu dois comprendre :
Thèse centrale : Spinoza redéfinit la liberté comme la "nécessité de la nature" et critique l'illusion du libre arbitre humain.
Exemple clé : La pierre qui se déplace sous l'effet d'une cause extérieure et qui croirait qu'elle se meut par elle-même, s'illustre comme une métaphore de la fausse conscience humaine.
Critique du libre arbitre : Les humains croient qu'ils agissent librement, mais ils sont en réalité déterminés par des causes extérieures qu'ils ignorent.
2. Introduction guidée
L'introduction doit être structurée de la manière suivante :
a) Amorce :
Tu dois introduire le thème du texte de manière générale.
Exemple : La question de la liberté est une des plus anciennes et des plus complexes en philosophie. Depuis des siècles, les penseurs se demandent si l’homme est véritablement libre ou s’il est soumis à des forces qui le dépassent.
b) Présentation de l'auteur et du texte :
Présente Spinoza, le contexte et sa thèse.
Exemple : Spinoza, philosophe rationaliste du XVIIe siècle, s'inscrit dans une perspective où la liberté est étroitement liée à la nécessité naturelle. Dans ce texte, extrait d’une lettre à son correspondant Schuller, il réfute la notion courante de libre arbitre et propose une redéfinition de la liberté, non comme un choix indifférent, mais comme une nécessité découlant de la nature propre de chaque chose.
c) Problématique :
Pose la question principale à laquelle tu vas répondre dans ton commentaire.
Exemple : Comment Spinoza redéfinit-il la liberté et en quoi critique-t-il la croyance humaine en un libre arbitre ?
d) Annonce du plan :
Précise les étapes de ton commentaire.
Exemple : Nous analyserons d’abord la manière dont Spinoza définit la liberté comme nécessité naturelle, puis nous verrons comment il critique l’illusion humaine du libre arbitre, avant de nous interroger sur les conséquences de cette critique pour la compréhension de la liberté humaine.
3. Explication linéaire du texte
Étape 1 : Définition de la liberté et de la contrainte
Spinoza commence par définir ce qu'il entend par liberté et contrainte.
Exercice : Explique comment Spinoza oppose la liberté à la contrainte, en insistant sur le fait que la liberté consiste à agir par la seule nécessité de sa nature, tandis que la contrainte résulte de la détermination par des causes extérieures.
Réponse guidée : Pour Spinoza, une chose est libre si elle agit selon sa propre nature, c’est-à-dire en accord avec ce qu’elle est. C’est ce qu’il illustre à travers l’exemple de Dieu, qui agit librement parce qu’il n’est soumis à aucune cause extérieure. La liberté ne repose pas sur un choix entre plusieurs possibilités (comme le veut l’idée du libre arbitre), mais sur la nécessité intérieure.
Étape 2 : L'exemple de la pierre
Spinoza illustre ensuite cette distinction à travers l’exemple de la pierre. Il montre comment une chose, comme une pierre, peut être contrainte tout en semblant agir librement.
Exercice : Reformule l'exemple de la pierre et explique la leçon que Spinoza en tire sur la fausse conscience de liberté.
Réponse guidée : Spinoza demande au lecteur d'imaginer qu'une pierre poussée par une force extérieure croie qu'elle continue son mouvement de manière autonome. Cette image permet à Spinoza de montrer que même une chose qui se meut sous contrainte pourrait croire, si elle pensait, qu’elle agit librement. De la même manière, les humains, bien qu’ils soient déterminés par des causes qu’ils ignorent, croient qu’ils agissent par un libre décret de leur âme. Cette idée constitue une critique de la liberté telle que les hommes la conçoivent.
Étape 3 : Critique de l’illusion du libre arbitre
Spinoza poursuit en critiquant l’illusion du libre arbitre, qu’il considère comme un préjugé répandu chez les hommes. Il illustre son propos à l’aide d'exemples concrets : l’enfant, l’ivrogne, ou encore le délirant.
Exercice : Analyse les exemples donnés par Spinoza et explique comment ils servent à critiquer l’illusion humaine du libre arbitre.
Réponse guidée : Spinoza utilise des exemples de situations quotidiennes (comme l’enfant qui désire le lait ou l’ivrogne qui parle sans contrôle) pour montrer que les hommes croient toujours qu’ils agissent librement, alors qu’ils sont en réalité déterminés par des causes qu’ils ignorent. L’ivrogne, par exemple, croit agir librement en parlant, mais il est sous l’influence de l’alcool. Cette critique repose sur l’idée que la conscience de nos désirs ne suffit pas pour être réellement libre.
4. Problématisation
À cette étape, tu dois poser une question clé à partir du texte pour guider ta réflexion.
Exemple : Spinoza affirme que les hommes croient à tort en leur liberté parce qu'ils ne connaissent pas les causes qui les déterminent. Mais si cette illusion est si profondément ancrée, comment les hommes peuvent-ils accéder à une forme de liberté véritable ?
5. Conclusion
Dans ta conclusion, tu dois résumer les points principaux et répondre à la problématique posée en introduction.
Exercice : Résume les deux points clés du texte et apporte une réponse à la problématique.
Réponse guidée : En définitive, Spinoza propose une redéfinition de la liberté qui se détache du libre arbitre et repose sur la nécessité naturelle. Pour lui, les hommes se trompent en croyant agir librement, alors qu'ils sont en réalité déterminés par des causes extérieures. La vraie liberté consiste à comprendre cette nécessité et à agir en accord avec sa propre nature, comme Dieu le fait. Spinoza nous invite donc à repenser notre conception de la liberté.
6. Ouverture
Pour conclure ton commentaire de manière plus large, tu peux proposer une réflexion qui prolonge le texte de Spinoza ou qui ouvre sur une autre problématique philosophique.
Exemple d’ouverture : Cette critique du libre arbitre par Spinoza n’est pas sans rappeler les travaux de Freud sur l’inconscient. Comme Spinoza, Freud montre que nous ne sommes pas maîtres de nos désirs et que nos actions sont largement influencées par des causes inconscientes. La question qui se pose alors est : peut-on atteindre une forme de liberté en prenant conscience des forces qui nous déterminent ?
Commentaire rédigé
Introduction
Le texte proposé est extrait d’une lettre de Baruch Spinoza à son correspondant Schuller, dans laquelle il expose sa conception de la liberté et réfute l'idée commune de libre arbitre. Spinoza, philosophe rationaliste du XVIIe siècle, oppose la liberté comme « nécessité de la nature » à la contrainte, qui est déterminée par des causes extérieures. Il conteste l'idée selon laquelle l'homme serait libre simplement parce qu'il aurait conscience de ses désirs, tout en ignorant les causes qui les déterminent. Ce texte s’inscrit dans le cadre plus large de la critique du libre arbitre et de la volonté humaine.
Problématique : Comment Spinoza redéfinit-il la liberté et remet-il en cause l'illusion humaine de libre arbitre ?
I. La thèse de Spinoza : la liberté comme nécessité naturelle
Dans ce passage, Spinoza présente d'abord sa conception de la liberté. Il distingue deux types de réalités : les choses libres et les choses contraintes. Selon lui, une chose est libre si elle agit selon la « nécessité de sa nature », c'est-à-dire en fonction de ce qui découle naturellement d’elle-même. À l'inverse, une chose est contrainte lorsqu’elle est déterminée par une cause extérieure à agir ou à exister d’une certaine manière.
Explication :
Spinoza prend l'exemple de Dieu pour illustrer la liberté : Dieu est libre parce qu'il agit par la seule nécessité de sa nature, ce qui signifie qu'il n'est pas influencé par une cause extérieure. La liberté de Dieu n'est donc pas une liberté de choix mais une liberté d'être pleinement en accord avec sa propre essence.
Cette liberté est qualifiée de « libre nécessité », ce qui semble paradoxal puisque Spinoza associe la liberté à une forme de détermination inévitable. Mais cette détermination est interne, inhérente à la nature de l’être.
Problématisation :
Spinoza défie l'idée commune selon laquelle la liberté consisterait en un libre arbitre, c’est-à-dire la possibilité de choisir indifféremment entre plusieurs options. Pour lui, la liberté ne réside pas dans le choix mais dans la conformité avec la nature de la chose. En cela, il s'oppose à Descartes et à une longue tradition philosophique qui associe la liberté à la faculté de choisir sans contrainte.
II. La critique du libre arbitre humain : l’illusion de la liberté
Spinoza descend ensuite « aux choses créées », c'est-à-dire aux créatures comme les hommes, qui sont soumises à des causes extérieures. Il explique, par un exemple concret, comment une pierre, mise en mouvement par une force extérieure, continue de se mouvoir par nécessité, sans pour autant être libre.
Explication :
Spinoza invite le lecteur à imaginer que cette pierre ait conscience de son mouvement. Si elle était capable de penser, elle pourrait croire qu’elle persévère dans son mouvement parce qu’elle le désire, et qu’elle agit librement. Or, cette idée est une illusion, car le mouvement de la pierre est déterminé par une cause extérieure.
Il en va de même pour les hommes : nous croyons être libres parce que nous avons conscience de nos désirs, mais nous ignorons les causes profondes qui nous déterminent à agir de telle ou telle manière.
Problématisation :
Spinoza conteste ainsi la conception traditionnelle de la liberté humaine. Selon lui, les hommes sont prisonniers d'une illusion : parce qu'ils sont conscients de leurs appétits, ils se croient libres, alors qu'ils sont en réalité contraints par des causes extérieures et des déterminismes qu'ils ne perçoivent pas. Il prend des exemples du quotidien, comme l'enfant qui désire le lait ou l'ivrogne qui croit parler librement sous l'emprise de l’alcool, pour illustrer cette illusion.
III. L’illusion tenace du libre arbitre : un préjugé universel
Dans la dernière partie du texte, Spinoza souligne à quel point ce « préjugé » de la liberté humaine est naturel et répandu. Bien que l'expérience quotidienne nous montre notre incapacité à maîtriser nos désirs et à agir en toute liberté, nous persistons à croire que nous sommes libres.
Explication :
Spinoza insiste sur l’idée que l’illusion du libre arbitre est un préjugé profondément ancré chez tous les hommes. Il note que même lorsqu’ils sont confrontés à des expériences montrant leur manque de maîtrise de leurs appétits (comme le fait de vouloir une chose et d’en faire une autre), les hommes continuent à croire qu’ils agissent librement.
Cette idée que l’on « voit le meilleur et fait le pire » est un thème classique en philosophie, repris notamment par les stoïciens. Elle montre que la connaissance rationnelle de ce qui est juste ou bon ne suffit pas toujours à contrer les déterminismes affectifs et pulsionnels.
Problématisation :
Spinoza nous amène à réfléchir sur les raisons profondes qui nous poussent à maintenir cette croyance en la liberté. L'homme préfère ignorer ses déterminismes pour préserver l'illusion d’une autonomie complète. Ce préjugé est à la fois psychologique (nous voulons croire que nous contrôlons nos actions) et social (les sociétés valorisent l'idée de liberté individuelle).
Conclusion :
Spinoza redéfinit la liberté en la liant à la nécessité naturelle plutôt qu’à un libre arbitre illusoire. Selon lui, seule la compréhension des causes qui nous déterminent peut nous permettre de nous libérer partiellement de cette illusion. Les hommes ne sont pas libres au sens traditionnel du terme, mais peuvent tendre vers une forme de liberté en prenant conscience de leurs déterminismes et en agissant en conformité avec leur nature rationnelle.
Ouverture :
Cette réflexion spinoziste soulève une question cruciale : la liberté humaine peut-elle exister en dehors des déterminismes naturels et sociaux ? Cette conception de la liberté comme nécessité résonne avec les philosophies contemporaines, notamment chez Freud, pour qui l’homme est également déterminé par des forces inconscientes. Elle interpelle également les théories modernes sur l’autonomie et la responsabilité individuelle.
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