Manon Lescaut l'abbé Prévost commentaire linéaire, grammaire, le retour à une vie consacrée à l'étude

Manon Lescaut, l’abbé Prévost

Première partie : le choix d’un retour à une vie consacrée à l’étude

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« Il me flatta… avant notre départ »

Il me flatta si adroitement sur la bonté de mon caractère et sur mes inclinations, qu'il me fit naître dès cette première visite, une forte envie de renoncer comme lui à tous les plaisirs du siècle pour entrer dans l'état ecclésiastique.

Je goûtai tellement cette idée que, lorsque je me trouvai seul, je ne m'occupai plus d'autre chose. Je me rappelai les discours de M. I'Évêque d'Amiens, qui m'avait donné le même conseil, et les présages heureux qu'il avait formés en ma faveur, s'il m'arrivait d'embrasser ce parti. La piété se mêla aussi dans mes considérations. Je mènerai une vie sage et chrétienne, disais-je ; je m'occuperai de l'étude et de la religion, qui ne me permettront point de penser aux dangereux plaisirs de l'amour. Je mépriserai ce que le commun des hommes admire, et comme je sens assez que mon cœur ne désirera que ce qu'il estime, j'aurai aussi peu d'inquiétudes que de désirs. Je formai là-dessus, d'avance, un système de vie paisible et solitaire. J'y faisais entrer une maison écartée, avec un petit bois et un ruisseau d'eau douce au bout du jardin, une bibliothèque composée de livres choisis ; un petit nombre d'amis vertueux et de bon sens, une table propre, mais frugale et modérée. J'y joignais un commerce de lettres avec un ami qui ferait son séjour à Paris, et qui m'informerait des nouvelles publiques, moins pour satisfaire ma curiosité que pour me faire un divertissement des folles agitations des hommes. Ne serai-je pas heureux ? ajoutais-je ; toutes mes prétentions ne seront-elles point remplies ? Il est certain que ce projet flattait extrêmement mes inclinations. Mais, à la fin d'un si sage arrangement, je sentais que mon cœur attendait encore quelque chose, et que, pour n'avoir rien à désirer dans la plus charmante solitude, il y fallait être avec Manon."

Cependant, Tiberge continuant de me rendre de fréquentes visites dans le dessein qu’il m’avait inspiré, je pris l’occasion d’en faire l’ouverture à mon père. Il me déclara que son intention était de laisser ses enfants libres dans le choix de leur condition, et que, de quelque manière que je voulusse disposer de moi, il ne se réserverait que le droit de m’aider de ses conseils. Il m’en donna de fort sages, qui tendaient moins à me dégoûter de mon projet qu’à me le faire embrasser avec connaissance. Le renouvellement de l’année scolastique approchait. Je convins avec Tiberge de nous mettre ensemble au séminaire de Saint-Sulpice, lui pour achever ses études de théologie, et moi pour commencer les miennes. Son mérite, qui était connu de l’évêque du diocèse, lui fit obtenir de ce prélat un bénéfice considérable avant notre départ.

Manon Lescaut, l’abbé Prévost

Introduction

Le choix d’un retour à une vie consacrée aux études de théologie.

L’histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut est le 7^e tome des Mémoires et aventures d’un homme de qualité écrit par l’abbé Prévost. Ce livre connait un grand succès.

Le narrateur-personnage Des Grieux raconte son récit rétrospectif, il dévoile à quel point sa vie a été bouleversée par son amour pour Manon.  Il vit tout d’abord un certain temps avec Manon mais cette expérience fut malheureuse. Il est ensuite séparé d’elle puis ramené chez son père. Il imagine une autre vie. Son ami Tiberge lui rend visite.

Problématique

En quoi consiste cet idéal de vie, le lecteur y croit-il ?

Plan

Mouvement 1 : « Il me flatta… que de désirs » Mener une vie chrétienne, sainte

Mouvement 2 : « Je formai… avec Manon » Son nouveau cadre de vie

Mouvement 3 : « Cependant… départ » Les encouragements de ses proches

Mouvement 1

 Son ami Tiberge se plait à mettre en avant ses qualités « bonté de caractère », il les réveille en Des Grieux « mes inclinations ». Il fait allusion à son projet de rentrer dans l’ordre de Malte : cette idée est reprise par deux fois et la seconde sous sa forme plus solennelle : « Entrer dans l’ordre ecclésiastique », « renoncer comme lui à tous les plaisirs du siècle ». 

Le héros se concentre sur ce nouveau projet de vie « je goûtai tellement cette idée », projet encore mis en avant par la proposition subordonnée de conséquence « que je ne m’occupai plus d’autre chose ».

Des Grieux se sent entouré, encouragé, poussé, « Evèque d’Amiens », les « présages », sont heureux, l’avenir est prometteur comme le souligne l’allitération en « R » « réussite. Son état d’esprit et son comportement sont religieux « piété…vie sainte et chrétienne…étude de religion ».

Son expérience le pousse à présent à juger trop dangereux les « plaisirs de l’amour ». Il les rejette.  Il a le sentiment de s’élever au- dessus des hommes « Je mépriserai ce que le commun des hommes admire ».  Il semble confiant, décidé, différent, appelé à cette nouvelle vie tout en ayant déjà renoncé à son passé. Les termes utilisés sont forts, on peut citer « je mépriserai », « j’aurai aussi peu d’inquiétude que de désirs ». 

Mouvement 2

 Des Grieux  imagine une nouvelle vie, une existence parfaite. Il tente de décrire de manière très précise son projet, le cadre propice à son nouveau choix de vie « paisible et solitaire », idée renforcée par la clausule et le rythme binaire.

Dans ce nouveau cadre de vie, le lecteur découvre :

• « Une maison écartée » = un lieu de vie isolé et coupé du monde. On peut faire  le rapprochement avec les penseurs avec une allusion au jardin d’Epicure comme le suggère la citation « un petit bois et un ruisseau d’eau douce au bout du jardin ».  Le lieu évoqué promène le lecteur dans un cadre épicurien.
• « Une bibliothèque » s’ajoute à ce cadre idyllique, on peut facilement supposer l’importance de ce lieu de culture incontournable et rempli de références livresques théologiques.
• « Un petit nombre d’amis vertueux et de bon sens » = ce détail dévoile la valeur de l’amitié et le clin d’œil à Descartes avec sa référence « au bon sens » dont il disait que c’était « la chose au monde la mieux partagée », ce qui n’exclut pas la raison comme ordre de connaissance essentiel.
• « Une table propre mais frugale et modérée » = aucun excès de nourriture en référence à l’épicurisme.
• La dernière référence « les folles agitations des hommes » suggère la philosophie du penseur Pascal qui dans son ouvrage Les Pensées a étudié la nature humaine et son penchant pour les divertissements.

Ce cadre ainsi agencé permettrait de trouver le bonheur « ne serai-je pas heureux «  Le futur nous laisse supposer que oui.

Puis le ton change, le narrateur prend du recul par rapport à ce projet qui reflèterait pour beaucoup son amour propre.

C’est à la dernière phrase que le lecteur comprend que le sérieux du projet est totalement anéanti.

« Pour n’avoir rien à désirer dans la plus charmante solitude, il fallait y être avec Manon » - La lecture se termine sur un néant encore souligné par le superlatif « la plus charmante » et la clausule « Manon ». 

Mouvement 3

Son seul ami Tiberge ne le laisse pas tomber « fréquentes visites ».

Le narrateur parle également de son père comme d’un père admirable « son intention était de laisser ses enfants libres dans le choix de leur condition », « il ne se réservait que le droit de m’aider dans ses conseils », conseils « fort sages ». Le père a donc une entière confiance en son fils. Confiance et respect sont les deux mots d’ordre.

Des Grieux  semble revenir dans le droit chemin comme le suggère la fin du texte. « Je convins avec Tiberge », ils décident de se rendre au séminaire de Saint-Sulpice et reçoivent les encouragements de l’évèque du diocèse « bénéfice considérable »

Conclusion

Ainsi, ce passage nous dévoile un Des Grieux dans de nouvelles dispositions à ce qu’il était à Amiens avant la rencontre avec Manon. Malgré ses qualités et dispositions pour les études de théologie, le lecteur a du mal à croire à cet idéal de vie. Toujours faible face à Manon, il reste fragile quant à ses nouveaux engagements. Le lecteur doute.

Ouverture

Ce texte fait écho à la vie même de l’auteur. En effet, l’abbé Prévost a également connu une vie relâchée avec Hélène Eckhardt et des engagements chez les Jésuites et les Bénédictins.

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