Analyse du recueil "Les Cahiers de Douai" de Rimbaud. Problématique, les sources, les thèmes, l'expérience poétique, Les Lettres du Voyant

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En quoi le recueil "Les Cahiers de Douai" est-il évocateur de la personnalité de Rimbaud et de son aspiration à créer une langue poétique nouvelle?

Problématiques 
En quoi le recueil est-il le témoignage d'une poésie de l'errance et de la révolte? 
En quoi ce recueil est-il évocateur de la personnalité de Rimbaud et de son aspiration à créer une langue poétique nouvelle

Le Recueil Demeny est un ensemble de 22 poèmes écrits par Arthur Rimbaud entre mars et octobre 1870

Le Recueil de Douai ou encore le Recueil Demeny est un ensemble de 22 poèmes écrits par Arthur Rimbaud entre mars et octobre 1870. Ils sont répartis en deux liasses de 15 et 7 poèmes. 


Premier cahier :
Première soirée
Sensation
Le Forgeron
Soleil et Chair
Ophélie
Bal des pendus
Le châtiment de Tartufe
Vénus Anadyomène
Les Réparties de Nina
A la musique
Les Effarés
Roman 
Morts de quatre vint douze et de quatre vingt treize (poème sans titre, désigné par son premier vers) 
Le Mal
Rages de Césars 


Deuxième cahier 
Rêvé pour l'hiver
Le Dormeur du val
Au Cabaret-Vert, cinq heures du soir
La Maline
L'Eclatante Victoire de Sarrebück 
Le Buffet
Ma Bohême 


Recueilli par son professeur Georges Izambard après sa première fugue du 29 août 1870, Rimbaud déposa dès le 26 septembre 1870 chez Paul Demeny, poète et éditeur douaisien, une première liasse de 15 poèmes. Il fera un second séjour à Douai lors de sa deuxième fugue. Sept nouveaux sonnets seront confiés à Demeny.  Les deux liasses seront vendues aux enchères de l'hôtel Drouot en 1914 et achetées par Stefan Zweig. 

Rimbaud 1Les sources
Les Effarés
Poème inspiré du roman de V. Hugo Les Misérables et de ses personnages enfantins, Cosette et Gavroche, victimes innocentes de la misère et des hommes. Rimbaud est proche de l'enfance : misère des enfants des rues + sentiment d'injustice. Mouvement social de révolte. 
Bal des pendus
Inspiration de "la Ballade des pendus" de Villon
Le Buffet
On reconnaît l'influence du Parnasse 
le Bal des pendus, Vénus anadyomène, les Réparties de Nina
On y trouve déjà un esprit de révolte du jeune poète
Ma bohème, Sensation
On y retrouve l'image du poète en saltimbanque rejeté par la société. Point commun avec Baudelaire et Verlaine. 
Le forgeron :
Révolte contre l'ordre bourgeois et la monarchie. Mépris + provocation. 

 

Les Cahiers de Douai Trois thèmes dominent les Cahiers de Rimbaud La fugue associée à la nature, la révolte et l'image de la femme, quête d'une sensualité

RimbaudI - Les fugues  = errances dans la nature
Poésies animées par le mouvement avec une récurrence du thème de la marche (nombreuses conjugaisons avec le verbe "aller", au présent, au futur et à l'imparfait) par les "sentiers", "chemins", "au bord des routes". Une quête de l'infini, la marche est associée au "ciel", "à l'azur" avec des repères symboliques comme l'aube et le soir qui sont les deux temps de la création poétique pour Rimbaud.
Les errances dans la nature = une quête des éléments 
L'air : souffle de vie associé à l'imaginaire. Il favorise l'élan poétique. Ex Sensation "je laisserai le vent bercé ma tête nue"
L'eau : symbole du mouvement et force de vie
Terre : toujours présente dans les poèmes de fugues : campagne, arbres, les fleurs... la végétation est assimilée à la sève, force de vie
Le feu : Four, l'âtre des Effarés. Le soleil comme force créatrice dans "Soleil et chair", "Réparties de Nina". 
La poésie nouvelle de Rimbaud / l'aspiration est exprimée dans la "Lettre au voyant" à Paul Demeny, "Les yeux fermés, je m'offrais au soleil, dieu de feu".
On retrouve l'anticipation du poète qui se fait voyant, "je veux être poète et je travaille à me faire voyant". "Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens". Lettres du Voyant. 
Enfin, le poète est « voleur de feu ». La poésie est traditionnellement associée au mythe d’Orphée, ici, Rimbaud l’associe à Prométhée ; le poète volerait donc aux dieux pour donner aux hommes...
Ainsi, la nature dans les poésies de Rimbaud est sacralisée, sublimée, divinisée, elle se confond avec l'amour et la femme "Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien, / Par la Nature, -heureux comme avec une femme". 

II - La révolte 
Nombreuses sont les dénonciations et satires dans les poésies. 
L'anticléricalisme : contre son instruction religieuse. "Le Forgeron" : le clergé est caricaturé (1er soutien de l'ordre monarchique). L'hypocrisie de la religion est aussi dénoncée. Celle de l'église : l'argent est vu comme support des prières "des chapelets clairs grenés de pièces d'or". Dans "Le Mal", il est question des massacres de la guerre et de l'indifférence de l'église et de Dieu. 
La politique : Il y a une critique acerbe de la monarchie absolue, du second Empire, des rois, Louis XIV, ou de Napoléon III. A lire, "L'Eclatante victoire de Sarrebrück" et "Le Mal". 
La guerre : "Le Mal" et "Le Dormeur du val" 
La pauvreté : "Les Effarés" : "A genoux, cinq petits, -misère!- / Regardent le Boulanger faire / Le lourd pain blond..."
La bourgeoisie : "Le Forgeron", Rimbaud y dénonce ceux qui soutiennent l'injustice sociale = rage révolutionnaire du poète. Dans "Roman", il critique la bourgeoisie
Rimbaud, révolutionnaire, révolté contre les injustices sociales s'inspire de Victor Hugo.

III - L'image de la femme 
L'image de la femme dans le Cahier de Douai  est ambivalente, le plus souvent sublimée. 
Dans Ophélie, on a l'image d'une femme-ange. On y retrouve son contraire, la femme-démon dans "Vénus Anadyomène". Parodie de Botticelli. Rimbaud en détruit la beauté "Puis, le col gras et gris, les larges omoplates / Qui saillent; le dos court qui rentrent et qui ressort"... "La graisse sous la peau paraît en feuilles plates". La femme inspire l'horreur en particulier dans la chute du sonnet "Et tout ce corps remue et tend sa large croupe / Belle hideusement d'un ulcère à l'anus"
La quête de sensualité de l'adolescient est en rapport avec les interdits moraux. Il s'oppose aux bonnes moeurs de l'ordre bourgeois - "Ma Bohème", "La Maline", "Reparties de Nina". 
L'amour est un mythe dans "Soleil et Chair". On a l'image mythologique de la déesse Vénus : "Vénus, c'est en toi que je crois".      
 

 

« Je veux être poète, et je travaille à me faire voyant » « Il s’agit d’arriver à l’inconnu par le dérèglement de tous les sens » « JE est un autre ».

« Car Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident : j'assiste à l'éclosion de ma pensée : je la regarde, je l'écoute : je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène.

Si les vieux imbéciles n'avaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous n'aurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini ! ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en s'en clamant les auteurs ! (…)

La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver, cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! — Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse : à l'instar des comprachicos, quoi ! Imaginez un homme s'implantant et se cultivant des verrues sur le visage.(...)

Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant.

Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, — et le suprême Savant ! — Car il arrive à l'inconnu ! Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innombrables : viendront d'autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé ! (..) »

Lettre du Voyant à Paul Demeny, 15 mai 1871, Arthur Rimbaud

Lettre à Georges lzambard «Charleville, (13) mai 1871.

Les lettres du «voyant» (1885)

Textes de RIMBAUD

Lettre à Georges lzambard

«Charleville, (13) mai 1871.

Cher Monsieur !

Vous revoilà professeur. On se doit à la Société, m'avez-vous dit ; vous faites partie des corps enseignants : vous roulez dans la bonne ornière. - Moi aussi, je suis le principe : je me fais cyniquement entretenir; je déterre d'anciens imbéciles de collège : tout ce que je puis inventer de bête, de sale, de mauvais, en action et en paroles, je le leur livre : on me paie en bocks et en filles. ‘’Stat mater dolorosa, dum pendet filius.’’- Je me dois à la Société, c'est juste, - et j'ai raison. - Vous aussi, vous avez raison, pour aujourd'hui. Au fond, vous ne voyez en votre principe que poésie subjective : votre obstination à regagner le râtelier universitaire - pardon ! - le prouve. Mais vous finirez toujours comme un satisfait qui n'a rien fait, n'ayant rien voulu faire. Sans compter que votre poésie subjective sera toujours horriblement fadasse. Un jour, j'espère, - bien d'autres espèrent la même chose, - je verrai dans votre principe la poésie objective, je la verrai plus sincèrement que vous ne le feriez ! - Je serai un travailleur : c'est l'idée qui me retient quand les colères folles me poussent vers la bataille de Paris, - où tant de travailleurs meurent pourtant encore tandis que je vous écris ! Travailler maintenant, jamais, jamais ; je suis en grève. Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi? Je veux être poète, et je travaille à me rendre voyant : vous ne comprendrez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tous les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense. On devrait dire : On me pense. Pardon du jeu de mots. JE est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et nargue aux inconscients, qui ergotent sur ce qu'ils ignorent tout à fait ! Vous n'êtes pas enseignant pour moi. Je vous donne ceci : est-ce de la satire, comme vous diriez? Est-ce de la poésie? C'est de la fantaisie, toujours. - Mais, je vous en supplie, ne soulignez ni du crayon, ni trop de la pensée :

LE CŒUR SUPPLICIÉ

Mon triste cœur bave à la poupe...

Arth. Rimbaud.»

Lettre à Paul Demeny «Charleville, 15 mai 1871.

J'ai résolu de vous donner une heure de littérature nouvelle. Je commence de suite par un psaume d'actualité :

Chant de guerre parisien

Le Printemps est évident, car... etc..

A. Rimbaud.

- Voici de la prose sur l'avenir de la poésie : - Toute poésie antique aboutit à la poésie grecque, Vie harmonieuse. - De la Grèce au mouvement romantique, - moyen-âge, - il y a des lettrés, des versificateurs. D'Ennius à Théroldus, de Théroldus à Casimir Delavigne, tout est prose rimée, un jeu, avachissement et gloire d'innombrables générations idiotes : Racine est le pur, le fort, le grand. - On eût soufflé sur ses rimes, brouillé ses hémistiches, que le Divin Sot serait aujourd'hui aussi ignoré que le premier venu auteur d'’’Origines’’. - Après Racine, le jeu moisit. Il a duré deux mille ans ! Ni plaisanterie, ni paradoxe. La raison m'inspire plus de certitudes sur le sujet que n'aurait jamais eu de colères un Jeune-France. Du reste, libre aux nouveaux d'exécrer les ancêtres : on est chez soi et l'on a le temps. On n'a jamais bien jugé le romantisme. Qui l'aurait jugé? les critiques ! ! Les romantiques? qui prouvent si bien que la chanson est si peu souvent l'œuvre, c'est-à-dire la pensée chantée et comprise du chanteur? Car Je est un autre. Si le cuivre s'éveille clairon, il n'y a rien de sa faute. Cela m'est évident : j'assiste à l'éclosion de ma pensée ; je la regarde, je l'écoute ; je lance un coup d'archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d'un bond sur la scène. […] La première étude de l'homme qui veut être poète est sa propre connaissance, entière ; il cherche son âme, il l'inspecte, il la tente, l'apprend. Dès qu'il la sait, il doit la cultiver; cela semble simple : en tout cerveau s'accomplit un développement naturel ; tant d'égoïstes se proclament auteurs ; il en est bien d'autres qui s'attribuent leur progrès intellectuel ! - Mais il s'agit de faire l'âme monstrueuse […] Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie ; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. Ineffable torture où il a besoin de toute la foi, de toute la force surhumaine, où il devient entre tous le grand malade, le grand criminel, le grand maudit, - et le suprême Savant ! - Car il arrive à l'inconnu ! Puisqu'il a cultivé son âme, déjà riche, plus qu'aucun ! Il arrive à l'inconnu, et quand, affolé, il finirait par perdre l'intelligence de ses visions, il les a vues ! Qu'il crève dans son bondissement par les choses inouïes et innommables : viendront d'autres horribles travailleurs ; ils commenceront par les horizons où l'autre s'est affaissé ! - la suite à six minutes - Ici j'intercale un second psaume, hors du texte : veuillez tendre une oreille complaisante, - et tout le monde sera charmé. - J'ai l'archet en main, je commence :

Mes petites amoureuses

Un hydralat lacrymal lave...

Etc..

A. R.

Voilà. Et remarquez bien que, si je ne craignais de vous faire débourser plus de 60 c. de port, - moi pauvre effaré qui, depuis sept mois, n'ai pas tenu un seul rond de bronze ! - je vous livrerais encore mes ‘’Amants de Paris’’, cent hexamètres, Monsieur, et ma ‘’Mort de Paris’’, deux cents hexamètres ! - Je reprends : Donc le poëte est vraiment voleur de feu. Il est chargé de l'humanité, des animaux même ; il devra faire sentir, palper, écouter ses inventions ; si ce qu'il rapporte de là-bas a forme, il donne forme ; si c'est informe, il donne de l'informe. Trouver une langue ; - Du reste, toute parole étant idée, le temps d'un langage universel viendra ! Il faut être académicien, - plus mort qu'un fossile, - pour parfaire un dictionnaire, de quelque langue que ce soit. Des faibles se mettraient à penser sur la première lettre de l'alphabet, qui pourraient vite ruer dans la folie ! Cette langue sera de l'âme pour l'âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant. Le poète définirait la quantité d'inconnu s'éveillant en son temps dans l'âme universelle : il donnerait plus - que la formule de sa pensée, que la notation de sa marche au Progrès ! Énormité devenant norme, absorbée par tous, il serait vraiment un multiplicateur de progrès ! Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez ; - Toujours pleins du Nombre et de l' Harmonie, ces poèmes seront faits pour rester. - Au fond, ce serait encore un peu la Poésie grecque. L'art éternel aurait ses fonctions, comme les poètes sont citoyens. La Poésie ne rhythmera plus l'action ; elle sera en avant. Ces poètes seront ! Quand sera brisé l'infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l'homme, - jusqu'ici abominable, - lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l'inconnu ! Ses mondes d'idées différeront-ils des nôtres? - Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. En attendant, demandons aux poètes du nouveau, - idées et formes. Tous les habiles croiraient bientôt avoir satisfait à cette demande. - Ce n'est pas cela ! Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s'en rendre compte : la culture de leurs âmes s'est commencée aux accidents : locomotives abandonnées, mais brûlantes, que prennent quelque temps les rails. - Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille. - Hugo, trop cabochard, a bien du vu dans les derniers volumes : ‘’Les Misérables’’ sont un vrai poème. J'ai ‘’Les Châtiments’’ sous la main ; ‘’Stella’’ donne à peu près la mesure de la vue de Hugo. Trop de Belmontet et de Lamennais, de Jéhovahs et de colonnes, vieilles énormités crevées. Musset est quatorze fois exécrable pour nous, générations douloureuses et prises de visions, - que sa paresse d'ange a insultées ! Ô les contes et les proverbes fadasses ! ô ‘’les Nuits’’ ! ô ‘’Rolla’’, ô ‘’Namouna’’, ô ‘’la Coupe’’ ! Tout est français, c'est-à-dire haïssable au suprême degré ; français, pas parisien ! Encore une œuvre de cet odieux génie qui a inspiré Rabelais, Voltaire, Jean La Fontaine ! commenté par M. Taine ! Printanier, l'esprit de Musset ! Charmant, son amour ! En voilà, de la peinture à l'émail, de la poésie solide ! On savourera longtemps la poésie française, mais en France. Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque [à la façon du Rolla de Musset], tout séminariste en porte les cinq cents rimes dans le secret d'un carnet. À quinze ans, ces élans de passion mettent les jeunes en rut ; à seize ans, ils se contentent déjà de les réciter avec cœur ; à dix-huit ans, à dix-sept même, tout collégien qui a le moyen, fait le Rolla, écrit un Rolla ! Quelques-uns en meurent peut-être encore. Musset n'a rien su faire : il y avait des visions derrière la gaze des rideaux : il a fermé les yeux. Français, panadis, traîné de l'estaminet au pupitre de collège, le beau mort est mort, et, désormais, ne nous donnons même plus la peine de le réveiller par nos abominations ! Les seconds romantiques sont très voyants : Th. Gautier, Lec. de Lisle, Th. de Banville. Mais inspecter l'invisible et entendre l'inouï étant autre chose que reprendre l'esprit des choses mortes, Baudelaire est le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. Encore a-t-il vécu dans un milieu trop artiste ; et la forme si vantée en lui est mesquine : les inventions d'inconnu réclament des formes nouvelles. […]»

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